«Comme employeur, l’Eglise est en apprentissage»

La récente grève de la faim de Daniel Fatzer a placé sur le devant de la scène le débat sur les conditions de vie des pasteurs. Pourtant, la Ministérielle, l’association professionnelle des pasteurs et diacres, est restée discrète. Son secrétaire, Alain Martin, commente l’épisode.

Pourquoi a-t-on peu entendu la Ministérielle?

Nous avons estimé qu’intervenir publiquement n’apportait rien et ne permettait pas de calmer le jeu.

Les conditions de travail des pasteurs vaudois se sont-elles autant péjorées que ce que l’on a pu entendre?

Les conditions de travail des ministres ont pas mal évolué. La place du pasteur de paroisse dans la communauté civile n’est plus une évidence. En outre, jusque dans les années 80, l’Eglise portait les ministères, mais maintenant c’est le contraire, ce sont les ministères qui portent l’Eglise. Les pasteurs ne sont plus de simples agents régulateurs du religieux, ils sont appelés à exercer des compétences éthiques, spirituelles, liturgiques, rituelles, etc.

La crise est davantage liée à la place du ministre dans la société qu’aux changements internes de l’institution?

C’est multifactoriel. La place du pasteur dans la société joue un rôle important, mais il y a aussi le changement institutionnel. Jusqu’en 2006, c’était l’Etat qui était employeur. Maintenant, c’est l’Eglise. Ce changement s’est fait sans modification fondamentale dans la gestion des ressources humaines. Bien sûr, il y a eu la création d’un Office des ressources humaines (ORH), mais il faisait suite au «pasteur des pasteurs» à l’époque centré sur l’accompagnement spirituel. Bref, sans que la structure de l’Eglise ait changé fondamentalement, c’est désormais l’ORH qui devient le garant – en fait le responsable – des mouvements de postes. Et cette centralisation, à mon avis, n’a pas encore été clairement analysée et digérée.

Vous insistez sur les changements de poste. Est-ce une grosse source de conflits?

Si j’en crois les cas où je suis amené à accompagner des collègues, la principale difficulté apparaît quand on essaie de mettre la bonne personne au bon endroit. Cela demande un temps énorme. Et actuellement à l’EERV, la gestion ordinaire des ressources humaines ne laisse pas ce temps. Le Conseil synodal le reconnaît, mais il complète l’office avec des compétences administratives et non pas avec des personnes chargées du discernement des charismes. Pour moi, il ne faudrait pas un responsable, mais deux ou trois. Je crois aussi que l’Eglise est en apprentissage dans son rôle d’employeur. Et inévitablement, il y a des moments où l’on essaie et où l’on s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait la bonne solution. Encore faut-il admettre que l’on puisse faire des erreurs, et pour l’instant, je n’ai pas l’impression que l’on a un Conseil synodal qui admet facilement s’être trompé.

ll y a des points sur lesquels il fait fausse route, selon vous?

Pour moi, actuellement, il y a une grosse difficulté – qui heureusement va être palliée par la création d’une commission de traitement des litiges, décidée par le Synode –, c’est que, lorsqu’il y a une situation RH tendue dans laquelle le Conseil synodal comme employeur doit intervenir, il ne le fait que sur la base du compte-rendu d’une ou deux personnes de l’ORH. Et l’Exécutif ne rencontre pas le collègue en question quand il prend sa décision. J’estime que c’est vraiment problématique car le risque d’arbitraire est plus élevé. Je suis donc heureux que désormais il y ait cette commission de traitement des litiges, qui va pouvoir enquêter, poser un autre regard et pondérer.

Mais les pasteurs ne sont-ils pas un peu des enfants gâtés?

Non je ne crois pas! Bien sûr, nous avons une convention collective et des conditions de travail qui, sans être très favorables aux personnes employées, posent un certain nombre de protections. Ce cadre est largement inspiré du Règlement du personnel de l’Etat de Vaud, c’est de là que l’on vient. On a cinq ou six situations de conflits ces derniers temps. On pourrait se dire que c’est peu sur 250, mais cela représente quand même 2-3%. Et puis il y a des situations où j’accompagne des collègues qui se sentent peu entendus ou maltraités par l’ORH: sur les deux dernières années, il y en a eu une vingtaine. Cela fait 10% de collègues qui sont en difficulté. Alors est-ce qu’on profite d’une situation trop facile? Je ne crois pas! L’Eglise n’est pas une entreprise comme une autre. Elle est porteuse d’un message, de réconciliation mais aussi d’interpellation sur le sens de la vie, sur les valeurs, sur une certaine éthique. Si, dans notre Eglise, on n’a pas les capacités de gérer nos différentes personnalités, c’est qu’il y a un problème. (24 heures)

(Créé: 08.08.2016, 21h07)