Une vie au chevet des âmes et des hommes

A son auditoire qui viendra l’écouter évoquer son combat contre la faim, demain soir, Marc Subilia parlerat-il d’Albert Camus? Ce n’est pas impossible tant l’œuvre du théoricien de l’absurde, de la révolte et de la quête de sens, l’a profondément marqué. Le retraité la mentionne en effet très rapidement lorsqu’il entreprend de raconter sa vie. Une existence riche qui l’aura vu tour à tour, médecin, se pencher sur les corps puis, pasteur, se pencher sur les âmes, et enfin responsable d’une association qui lutte contre la faim dans le monde, Des calories pour la vie. «Au début des années 1970, La Peste était mon livre de chevet», se souvient Marc Subilia assis dans son salon des hauts de Montreux, décoré de touches aussi bleues que ses yeux.

A cette époque, ce petit dernier d’une fratrie lausannoise de quatre, père professeur de français et mère au foyer – «maman cent professions», sourit-il –, n’a pas choisi la voie toute tracée dans sa famille, où plusieurs ont embrassé la religion. Encouragé par ses lectures de Camus, Marc Subilia entame donc sa révolte, qui prend la forme de combat contre les maux: il fera médecine. «A l’heure du choix, je n’envisageais pas la théologie. Il y avait déjà plusieurs pasteurs dans la famille, j’ai préféré lutter contre la souffrance en devenant médecin. Et je trouvais très intéressant d’apprendre à se connaître, de voir comment on est fait et comment ça fonctionne», poursuit l’ancien interniste du CHUV, chez qui la quête de sens est déjà très prononcée.

Un sentiment puissant qui le poussera d’ailleurs à quitter la Suisse à la recherche de nouveaux horizons. En pleines seventies, on rêve découvertes et grands espaces. L’heure est aux voyages initiatiques. Chez Marc Subilia ce sera un road trip Lausanne – Katmandou. Le tout au volant d’un minibus acheté avec deux copains, eux aussi diplômés de médecine. Entre «gens très accueillants», «communication non verbale» et «belles rencontres», l’aventure de dix mois est passionnante. Mais pour un jeune Lausannois de 25 ans, elle ne va pas sans traumatismes. «On ne sort pas tout à fait indemne, après avoir déambulé dans Calcutta, avoir eu à repousser des personnes qui s’accrochent à vos pieds pour obtenir quelque chose.»

De retour en Suisse, en poste au CHUV, le médecin se retrouve très vite confronté au caractère machinal de la vie, là où l’absurde, chez Camus, puise sa source. «J’avais l’impression qu’il fallait faire de plus en plus la même chose et le faire toujours plus vite», se remémore l’ancien médecin, chez qui cette monotonie ainsi que les interrogations sur le sens de la vie de patients croisés en service de psychologie médicale ont fait ressurgir «des questions existentielles que je pensais enfouies sous le tapis». Et qui tournent autour de Dieu et du sens de la vie.

Toujours en quête de sens, Marc Subilia abandonne la médecine et entreprend des études de théologie, en 1981. Année déterminante qui marque également son mariage avec Ruth. Sa famille ne cache pas sa surprise face à sa réorientation professionnelle, mais le médecin devenu étudiant en théologie s’accroche. Il est consacré pasteur en 1988. «Ces deux métiers ne sont pas si différents, c’est la perspective qui diverge.» Suivra une période au Québec où, aumônier en clinique psychiatrique, il réalise la parfaite synthèse entre ses deux carrières. «Sachant que j’avais été médecin, de nombreuses personnes me disaient que je pourrais les comprendre. Cette confiance a été une clé.»

Le pasteur Subilia passera ensuite dix ans dans la paroisse de Bellevaux et onze années dans la paroisse de Renens, avant la retraite, en 2011. Mais après une vie passée au chevet des corps et des âmes, pas évident de raccrocher. Marc Subilia décide de s’attaquer au mal de la faim dans le monde. Il lance l’association Des Calories pour la Vie qui propose de sauter un repas par semaine et d’en offrir la contre-valeur à une œuvre luttant contre la faim. Le scandale de la faim n’est pas inéluctable. Il en parlera demain soir. Et peut-être évoquera-t-il aussi Albert Camus. (24 heures)

(Créé: 07.02.2017, 15h36)