«Une blessure pas seulement pour les protestants mais pour la France entière»

Le Temps : Les protestants français entretiennent-ils la mémoire de la révocation de l’Edit de Nantes? François Clavairoly : Il subsiste le souvenir très vif d’une blessure qui a été infligée, pas simplement aux protestants eux-mêmes, mais au pays entier. La révocation a été une erreur politique majeure qui a ostracisé une partie de sa population et l’a dispersé dans l’Europe entière. Cette blessure est refermée aujourd’hui, mais la France peine encore à comprendre ce qu’est le protestantisme, ainsi que son actualité.
Voulez-vous dire qu’il y a une perception négative du protestantisme en France? C’est un exemple extrême, mais la députée FN Marion-Maréchal Le Pen a tenu, le 5 juillet dernier, un discours dans lequel elle mettait en parallèle la terreur révolutionnaire, l’oppression nazie et la réforme protestante. Des propos intolérables auxquels j’ai immédiatement réagi. Heureusement, il y a aussi une mémoire positive : dans l’affaire Dreyfus, les protestants ont pris parti pour le capitaine ; la loi de séparation de 1905 entre l’Eglise et l’Etat, à laquelle les réformés ont beaucoup contribué, marquant un choix républicain très clair pour la liberté de conscience ; et leur participation à la Résistance et au sauvetage des juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Plus récemment, depuis les années 60-70, l’Eglise protestante a participé aux grandes questions de société – sur la contraception, l’avortement, le divorce. Le protestantisme a toujours été porteur d’une position ouverte, libérale.

Mais tous les protestants ne sont pas libéraux… Il y a deux grandes familles, l’une luthéro-réformée, à tendance libérale (un peu moins d’un million d’adeptes en France), l’autre évangélique (environ 500 000 personnes). Nous sommes divisés sur la question du mariage pour tous par exemple. L’Eglise protestante unie – l’une des plus importantes Eglises protestantes -, offre désormais la possibilité aux pasteurs de bénir une union entre couples homosexuels. D’autres Eglises ne sont pas du tout sur cette ligne. Nous avons toujours connu la fragmentation, cela fait partie de l’ADN du protestantisme, qui naît sur des convictions.

On compare parfois la persécution des huguenots au XVIIe siècle avec le traitement réservé aux musulmans de nos jours. Qu’en pensez-vous ? C’est un parallèle qui n’a aucun sens. Les populations musulmanes ont eu du mal à s’intégrer parce qu’elles étaient déshéritées et que personne ne les a aidées. Les générations suivantes ont réussi leur intégration, particulièrement en France. Je parle d’intégration de populations, et non de Daech ou du djihad, qui sont des phénomènes distincts.
Pourquoi des jeunes se battent-ils au nom de l’islam et pas au nom du protestantisme ? Ne confondez pas l’islam, qui est une religion de paix, et le djihad, qui est un projet militaire et politique. Au XVIe siècle, les Guise et les huguenots instrumentalisaient la religion pour vaincre. C’est donc quelque chose qui n’est pas spécifique à l’islam, mais qui se retrouve dès que la religion est instrumentalisée par le politique. Et dans le cas du christianisme, il a fallu quatre à cinq siècles pour trouver l’apaisement, suite à une longue réforme intérieure. Et en France, cette réforme a été portée par la République, par la démocratie. Ce qu’on pourrait souhaiter c’est que l’islam soit traversé par ces forces démocratiques et républicaines et qu’il fasse sa réforme. Beaucoup de penseurs musulmans l’appellent d’ailleurs de leurs vœux.

PAR SIGNATURE @signature