[Tribune] Lettre aux « Hommes de Dieu » d’Afrique

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© AFP PHOTO / AMOS GUMULIRA

Entendons par « Hommes de Dieu » : tous ces hommes et ces femmes, prêtres et pasteurs, engagés dans et avec la parole de Dieu, connus ou pas encore assez, sincères ou malhonnêtes, conscients ou non du rôle qu’ils jouent dans la société.

Je vous écris cette lettre pour deux raisons : primo, parce que directement ou indirectement je vous ai fréquentés dans les églises, je connais certains d’entre vous, et je connais comment vous fonctionnez en général. Secundo, parce que j’ai été chrétien depuis ma petite enfance. Le christianisme m’a enrôlé au fin fond de mon village natal, avec la permission de mes parents, très croyants et convaincus qu’ils servaient vraiment Dieu. Baptisé, communié et confirmé, j’ai gravi ces échelons ecclésiastiques en même temps que ceux, plus complexes et plus longs, de l’éducation nationale et du supérieur. L’homme ayant tendance à devenir lui-même, j’ai questionné la crédibilité du message évangélique. Si je puis lui reconnaître la volonté de partager l’amour du prochain après des siècles de guerre et de meurtres pour son expansion, l’évangile a aussi cette capacité de con-vaincre les masses et de « dociliser » ceux que Platon appelle les « esprits de feu », ceux qui ont la conscience et l’éveil nécessaires pour ouvrir les portes fermées.

Selon les Saintes Écritures, Jésus est né il y a plus de 2000 ans. Jusqu’à ses 33 ans, âge de sa mort, il ne s’est pas révélé aux Africains. Et pourtant, l’Afrique existait déjà depuis des milliards d’années, les Africains étaient plus croyants et surtout plus spirituels qu’aujourd’hui. Le monde n’existe pas depuis Jésus. Je rappelle que le monde contemporain que nous connaissons correspond à peine à quelques minutes dans la durée de vie réelle de l’humanité. Le peuple africain a connu Jésus par un intermédiaire, disons même, par un « intercédeur », par un interlocuteur européen, le Missionnaire, celui qui ressemblait stricto au colon de la même époque. Évidemment, on s’efforçait de croire que les deux n’avaient pas la même mission. S’il était plus facile et même légitime de combattre le colon à cause de l’exploitation et l’imposition, on ne peut en dire autant pour le missionnaire. Ce dernier était plus doux, plus ou moins brutal et donc plus malin. Mais les deux sortaient des mêmes écoles de pensées, avaient des méthodes différentes, certes, mais partageaient les mêmes objectifs.

 Convenons dès lors qu’aujourd’hui, chacun des deux a laissé son héritage (politique et spirituel) et des héritiers (politiciens et évangélistes) en vue de pérenniser l’ouvrage. Mais pour quel résultat ? Quels sont les bienfaits de l’évangile en Afrique depuis le XIXe siècle ?

L’évangile oui, mais pour quel bilan ?

Il se pose un sérieux problème en Afrique, après diagnostic et bilan, quand on compare les intentions, les prétentions, les élucubrations dois-je dire, de l’évangile et la vie réelle des chrétiens africains. La présence de Jésus en Afrique n’est tangible que par la prolifération frénétique d’églises, le gospel, l’euphorie par décibels des messes et la répétition machinale de la parole christique sans conscience spirituelle réelle. L’écart est abyssal entre les promesses de l’évangile et les résultats sur le terrain. Et cela ne semble pas vous poser problème. Sinon on le saurait. Sinon on aurait vu des efforts du côté des « Hommes de Dieu » pour améliorer les choses. L’Afrique ne s’est jamais portée aussi mal. Les Africains n’ont jamais été aussi malheureux et désespérés que depuis qu’ils sont chrétiens. Faisons œuvre de sincérité. Disons les choses honnêtement. Des années passent, davantage chacun de nous compte des morts par désespoir autour de lui. Beaucoup d’entre vous répondent à cette problématique en disant qu’« ils ne sont pas assez croyants », « Ils viennent à l’église, mais ne font pas de sacrifices ni la volonté de Dieu ». Or, il faut leur dire qu’aucun peuple ne s’est développé parce qu’il était croyant, mais parce qu’il travaillait et aspirait aux biens matériels. Or, vous leur dîtes que les biens matériels (le développement) sont vains, seul compte le royaume des cieux. Supercherie ! Mais au bout d’un moment, on comprend que vous aussi êtes victimes du christianisme.

D’un côté, partout en Afrique, la pauvreté diversifiée est saisissante. Elle sévit toutes les générations et toutes les couches sociales. Et de l’autre, les politiques maltraitent les populations en les repoussant brutalement vers la pauvreté. Du coup, ces hommes, femmes et enfants coincés dans cet étau, deviennent vulnérables. C’est pourquoi vous les voyez nombreux dans vos églises et à vos pieds. Mais comment les traitez-vous à votre tour ? Êtes-vous certain d’apporter à ce peuple le soulagement dont il a besoin ? Quelles sont finalement vos réelles motivations ? Quelle est la probité morale et intellectuelle des évangélistes de nos jours ?

Être « Hommes de Dieu » ou comment se faire du beurre en douceur

Sans vous soumettre à une espèce de procès stalinien, sans manquer au devoir de la méthode consistant à ne pas mettre le linge sale et le linge propre dans un même panier, il sied de rappeler que vous êtes d’abord une corporation sociale distincte. Les « Hommes de Dieu », qu’ils le veuillent ou non, sont un même corps, un même esprit, parce qu’ils se revendiquent d’un même Seigneur et partant, d’un même Dieu. Comme toutes les catégories sociales, l’opinion vous juge en bloc. C’est ainsi que l’ivraie souille le bon grain.

Plus concrètement, « Les misérables » populations, comme les appellerait Victor Hugo, sont abusées chaque jour par chacun de vous. C’est une vérité absolue, établie comme le ciel au-dessus de la terre. Chacun de vous abuse de ce peuple à sa façon. Dans nos villages, j’ai souvent vu les vieilles mamans faire des pieds et des mains, quitte à sevrer leurs propres progénitures, pour donner leurs offrandes. Ces pauvres mamans se privent et privent les leurs pour vous nourrir et même vous financer. En ville où les croyants sont assez nombreux à donner sans compter, vous voici gavés en vivres et en toutes autres espèces précieuses. Vous recevez parfois par tonnes. Et vous savez très bien que vous recevez tout cela des « mains courtes » d’un peuple époumoné de travailler sans pouvoir changer son indésirable situation.

Sans scrupule aucun, vous leur en demandez davantage au point où certains s’endettent par crainte de blâme et de péché. Oui le système ecclésiastique est coercitif. Vous voici, à force de coutume, riches et même très riches au milieu de millions de pauvres. Et cet oxymore est peu éloquent pour traduire cet ahurissant contraste. Certains d’entre vous, trouvant ce spectacle payant et délirant, montent par recoupettes d’autres stratégies pour spolier à fond la caisse. Alors pour adoucir la défonce, on promet des miracles à n’en point finir. On promet tout et rien, et même le Paradis pour faire fondre les cœurs des sceptiques. Évidemment, très peu de résultats s’en suivent, et on n’est jamais sûr que ce soit le fruit de votre travail. Le constat est simple : la société est bigarrée, chrétiens et athées vivent les mêmes conditions, il y a les riches et les pauvres partout, les motivés et les désespérés, les échecs et les réussites aussi. Mais vous, par manichéisme, profitez de cette confusion pour faire chanter vos fidèles, en leur disant que leurs réussites sont de vous et que leurs échecs viennent, soit de leurs parents soit de leurs villages.

Un chantage qui ne dit pas son nom

Le chantage évangélique existe. Il est fondé d’abord sur la peur du péché, la peur de mourir pour avoir offensé Dieu. Il y a une sorte de systématisation du péché. Et derrière le péché, il faut voir le diable comme l’obsession des prêtres et des pasteurs. Ce chantage est donc voilé. On parle tout le temps, et même un peu plus souvent, un peu trop, du diable. On a l’impression qu’il est quasiment  impossible de prêcher sans dresser le portrait du diable. Autrement dit, les messes sont devenues, non pas seulement l’amour et l’adoration de Dieu et sa famille très restreinte des Saints, mais aussi la haine viscérale et donc la promotion du diable.

Oui, vous « Hommes de Dieu » avez travaillé à mettre sur un pied d’égalité Dieu et le diable. La conséquence est que vos « brebis » craignent beaucoup plus Satan que Dieu. Ils sont capables de tout donner si vous leur promettez l’éloignement du diable, ce distributeur de la mort. Oui, dans votre évangile, la mort vient à la fois de Dieu et du diable. Ou du moins, la mort vient de Dieu, mais c’est Satan qui nous l’inflige. Cette ambigüité est savamment et inconsciemment entretenue par plusieurs d’entre vous. Vous vous vautrez sur la crédulité de ces vulnérables pour leur soutirer les derniers espoirs qui les maintiennent en vie. Vos promesses ne se réalisant que dans les fantasmes les plus olympiens poussent bon nombre de vos fidèles dans l’abyme. Ils vivotent ensuite d’église en église, de gauche à droite frisant dangereusement la schizophrénie. Plusieurs, à maintes reprises, ont été déclarés délivrés, bénis… mais ne voient aucune lueur de prospérité. C’est pourtant normal que nos vies soient le résultat de ce que nous en faisons, et non la conséquence d’une quelconque bénédiction ou de la fréquentation assidue d’une chapelle et d’un pasteur. Mais vous n’êtes pas assez francs pour leur dire cette vérité. C’est pourquoi il est temps de faire votre bilan, une introspection sincère pour adapter l’évangile à la société africaine, et changer vos pratiques d’évangélisation, à défaut de fermer définitivement vos temples. Vous avez échoué spirituellement, alors faîtes dans du social.

Le christianisme doit jouer un rôle social pour être humain

D’antan, l’église jouait un rôle social important. Elle ne se contentait pas d’amasser le trésor auprès des « brebis ». Elle éduquait et accompagnait la jeunesse et les plus faibles physiquement et financièrement. Ce n’était pas parfait, mais c’était déjà louable. Plusieurs générations sont passées par les écoles et lycées catholiques et protestants. L’église faisait même autrefois la promotion des langues locales. Ces choses disparaissent parce qu’elles n’intéressent plus personne. Cette mission est mise à mort. La culture occidentale asphyxie les cultures locales au point où au cœur de Yaoundé, Kinshasa, Libreville, Abidjan… on ne fait plus d’effort pour promouvoir les langues et les cultures locales à l’église. Il ne s’agit pas de se substituer à l’État, mais de lui montrer la voie et l’accompagner.

La situation de vos fidèles n’est-elle pas suffisamment inquiétante pour mettre en place des plans sociaux d’assistance et de solidarité contre la pauvreté ? Pourquoi réduire l’évangile à l’église et à la vie spirituelle ? N’est-il pas temps que « l’homme de Dieu » invite ses « brebis » à descendre dans la rue pour combattre réellement les démons et leurs pesanteurs méphitiques ? Ce sera la preuve que vous n’êtes pas de mains avec le diable et ces dictateurs qui ne cachent plus leur Vénus et leur Cupidon pour vos robes. Avec ce que vous engrangez comme trésor, vous pouvez acheter des bus pour transporter les plus faibles de vos fidèles ; construire les sanitaires qui manquent tant dans les hôpitaux et établissements scolaires ; octroyer de modestes subventions aux enfants scolarisés de pauvres qui versent pourtant dîmes et autres impôts pénitenciers ; ou construire des internats pour accueillir les enfants qui risquent d’abandonner les études faute de situation stable. Vous devez jouer de plus en plus un rôle social pour être plus pragmatiques et crédibles. Car, les gens vous regardent, constatent votre insolente opulence face à l’insoutenable misère de vos fidèles. Au bout d’un moment, ils risquent de vous combattre par tous les moyens pour libérer les leurs. Sinon, les peuples finiront par se révolter contre vous pour récupérer leurs biens et leur dignité.

Cette lettre a l’intention d’attirer votre attention, vous les « Hommes de Dieu ». Elle a aussi le modeste espoir d’éveil la conscience de ceux et celles qui perdent tout dans les églises sans résultats probants en retour. Elle a envie de dire aux Africains que la vie spirituelle doit refléter l’étoffe de votre vie entière. On ne peut être heureux à l’église et malheureux dans sa maison, dans son village ou dans son pays. Soit il y a la spiritualité dans l’église, que cela se sache ; soit il n’y en a pas, et là, il ne faut pas creuser étant déjà dans un trou. Vous devez exiger sur terre, à Dieu et à « ses Hommes », la moitié de ce qu’ils vous promettent dans les cieux. Sinon, libérez-vous!

TED MVE

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