Nadia Bolz-Weber: “Dieu a créé une diversité foisonnante de personnes et d’identités sexuelles”

Nadia Bolz-Weber, 44 ans, est pasteur à Denver. De la rébellion punk au pastorat luthérien, cette femme au parcours atypique a su s’imposer dans un univers largement trusté par les hommes, et son succès fait grincer des dents. Interview.  

[Cet article a été initialement publié en janvier 2014]

Blogueuse à succès, tatouée, lunettes de hipster et gouaille ironique, Nadia Bolz-Weber est avant tout une bête de scène. Ses sermons sont des punchlines -elle emploie le mot “fuck”à toutes les sauces- et les vannes fusent, devant une foule hilare. Ses prêches sont de vraies pépites de stand-up. Pas étonnant quand on sait qu’avant de devenir pasteur, elle faisait des one-woman-shows dans une salle crasseuse de Denver. Rien ne prédisposait Nadia Bolz-Weber, mariée et mère de deux enfants, à représenter aujourd’hui la nouvelle vague “musclée du  christianisme libéral” en fondant une véritable “start-up de l’Église évangélique luthérienne en Amérique”, comme le décrit le Washington Post. À l’adolescence, elle se rebelle plutôt contre le christianisme fondamentaliste de sa famille et vire punk. Elle se met alors à fréquenter le milieu interlope, “les outsiders, les cyniques, les alcooliques et les pédés”, ce qu’elle racontera dans sa biographie à succès Pastrix: The Cranky Beautiful Faith of a Sinner and Saint (ndlr, la superbe foi à vif d’une pécheresse et d’une sainte), qui s’est glissée dans la liste des best-sellers du New York Times. Après des années de vie en communauté et d’addiction à la drogue et l’alcool, elle parviendra à se désintoxiquer et trouvera la foi, devenant ainsi pasteur à Denver. Rencontre avec celle qui veut rendre le protestantisme cool.

Dans le titre même de votre biographie, vous revendiquez ce surnom très violent, Pastrix, qui est un jeu de mots entre pasteur et dominatrice. Pourquoi?

Pastrix est le surnom que m’ont donné mes détracteurs, ceux qui estiment que les femmes ne doivent pas être pasteurs. Lorsqu’ils écrivent à mon sujet, ils refusent d’employer mon titre actuel, qui est Pasteur Nadia Bolz-Weber, et me surnomment Pastrix. Eh bien, lorsque j’ai écrit mes mémoires, j’ai décidé de reprendre ce terme à mon compte. Ce qui signifie, évidemment, que j’ai gagné!

Vous venez d’une famille chrétienne fondamentaliste. Avez-vous été élevée dans des valeurs sexistes?

J’ai été élevée dans la tradition chrétienne fondamentaliste, où les femmes n’avaient non seulement pas le droit d’être pasteurs, mais elles n’avaient pas même la possibilité de prier à voix haute devant les hommes. Disons simplement que ce n’était pas un environnement idéal pour une petite fille éveillée et grande gueule.

Quelles sont les origines de votre vocation?

Je sais que cela peut paraître fou, mais en fait, je pense que Dieu a fait appel à moi. J’étais engagée dans une voie complètement différente et pourtant on aurait dit que Dieu me cueillait, littéralement, et me poussait vers la voie de l’ordination. On aurait dit que quelque chose VENAIT à moi. Être pasteur est une vocation, et non une profession, parce que c’est précisément ce que je suis, pas seulement ce que je fais.

Comment se fait-on accepter en tant que femme dans le clergé?

Beaucoup de mes sœurs dans le clergé ont vécu des moments difficiles pour faire entendre leur voix et affirmer leur autorité. Cela n’a pas été mon cas, mais je ne veux jamais perdre de vue le fait que c’est malheureusement toujours aussi fréquent. Pour ma part, j’essaie de ne pas gâcher mon énergie à défendre ou protéger ma propre autorité: cela semble être le meilleur moyen de ne pas être prise au sérieux. Je pense qu’il existe un équilibre subtil à trouver entre ne jamais s’excuser de ce que nous sommes, en tant que femmes, et faire preuve d’humilité. C’est cet équilibre qui peut faire de nous des leaders extraordinaires.

Vous considérez-vous comme féministe?

Je n’utilise pas vraiment le mot féministe pour me décrire, mais cela ne me dérange pas si d’autres me décrivent ainsi. J’ai l’impression que je peux soit investir toute mon énergie dans les questions de genre et d’injustice, soit juste me faire accepter en tant que leader sur un terrain traditionnellement trusté par les hommes. Je n’ai pas l’énergie de faire les deux. J’espère donc qu’être une bonne féministe peut signifier être soi-même dans son rapport au monde, même si je n’utilise pas le mot.

Le fait d’être une femme change-t-il le regard que l’on porte sur les textes et la pratique?

Je ne sais pas si les femmes lisent l’Écriture ou interprètent les traditions d’une façon foncièrement différente des hommes. J’interprète les choses à ma façon et il se trouve que je suis une femme.

Être une femme vous rend-il plus ouverte sur les questions d’homosexualité et de genre en général?

Le simple fait d’être quelqu’un qui a connu un tas d’expériences dans le monde, avec plein de gens différents, me rend plus ouverte sur la sexualité. Je ne cherche pas à être ouverte en soi, simplement j’ai toute ma vie fréquenté des queers, c’est ma communauté. En tant que théologienne, je pense que Dieu a créé une diversité foisonnante de personnes, d’identités sexuelles et d’amours. Et célébrer cela, c’est célébrer Dieu. Mais j’aimerais que l’on s’éloigne des principes et des discussions autour de ce que les gens doivent faire ou ne pas faire de leur corps pour une vraie discussion honnête autour du bien-être émotionnel, physique et spirituel.

Les religions sont-elles misogynes?

Je pense que l’être humain en général essaie toujours de mettre au point des moyens de donner le pouvoir à certains groupes. C’est ce qui s’est produit tout au long de l’histoire, pour ce qui est du genre, de la religion, de la race, de l’ethnie, etc.

Vous cultivez votre corps au moyen, notamment, de compétitions d’haltérophilie. Est-ce si important, à vos yeux, d’aimer son corps?

J’ai vu beaucoup d’interviews de mannequins grandes tailles qui mettent l’accent sur le fait d’accepter son corps tel qu’il est, et militent pour un autre regard sur la beauté. Ça, j’adore. Cela m’a pris beaucoup trop de temps avant d’aimer mon corps. Aujourd’hui, je l’aime pour ce qu’il peut faire -tractions, équilibre, haltérophilie- et pour son apparence: 1,85 mètres, musclé, pulpeux, cheveux poivre et sel. Si nous, les femmes, utilisions toute l’énergie que nous dépensons à haïr notre corps pour nous concentrer sur le leadership, l’action sociale, la réforme de l’éducation ou d’autres causes infiniment plus nobles, le monde en serait différent.

Votre destin aurait-il pu être le même au sein d’une autre religion?

Il y a des idées très spécifiques à la tradition luthérienne qui m’ont attirée vers elle. Par exemple, celle qui sous-entend que nous sommes tous des pécheurs et des saints, et que Dieu veut être reconnu dans les choses simples qui  nous entourent: le pain, le vin, l’eau, les gens. Ces idées m’ont plu, à ma façon.

Êtes-vous réellement un pasteur libéral?

Je pense que les catégories “libérales” et “conservatrices” ont de moins en moins de sens. Oui, je suis socio-libérale car j’embrasse toutes les sortes de sexualité et d’expressions de genre. Mais je suis aussi une chrétienne profondément orthodoxe et je pense que Jésus était la parole de Dieu faite chair. Donc où est-ce que je me situe? Le “Jesus stuff” est important. Et j’adore les gays. Personne ne semble savoir quoi faire de moi.

Propos recueillis par Caroline Piquet