L’interprétation du chapitre 8 d’Amoris laetitia par les évêques de la région de Buenos Aires

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Début septembre, les évêques de la Région pastorale de Buenos Aires (Argentine) ont adressé à leurs prêtres une lettre distinguant certains critères de base pour l’application du chapitre VIII de l’exhortation apostolique Amoris laetitia, notamment en ce qui concerne l’admission à la communion eucharistique des personnes divorcées remariées. Ces critères, les évêques argentins de Buenos Aires les ont déclinés en 10 points afin d’aider les prêtres dans leur tâche pastorale. Dans le document, ils soulignent l’importance du discernement et la miséricorde dans l’accompagnement pastoral des divorcés remariés. Une copie de cette lettre a été envoyée au pape François qui a adressé un courrier à Mgr Sergío Alfredo Fenoy, délégué des évêques de la région de Buenos Aires. Le pape a félicité les évêques de cette région pastorale pour leur travail visant à accompagner leurs prêtres. Il a rappelé les quatre attitudes pastorales nécessaires à avoir vis-à-vis des divorcés remariés : accueillir, accompagner, discerner, intégrer. Parmi toutes ces attitudes, a insisté le pape, « la moins cultivée et pratiquée est le discernement ». Il a émis le souhait que soit inscrit le discernement personnel et communautaire au programme de formation des prêtres.

La DC

Lettre des évêques de la région de Buenos Aires

Chers prêtres,

C’est avec joie que nous avons reçu l’exhortation Amoris laetitia (1), qui nous appelle avant tout à faire croître l’amour des époux et à motiver les jeunes afin qu’ils optent pour le mariage et la famille. Ce sont là les grands thèmes qui ne devraient jamais être négligés ni éclipsés par d’autres questions. François a ouvert plusieurs portes dans le domaine de la pastorale familiale et nous sommes appelés à profiter de ce temps de miséricorde pour assumer en tant qu’Église.

Pour le moment, nous nous arrêterons uniquement sur le chapitre VIII, étant donné qu’il fait référence aux « orientations de l’évêque » (n. 300) en termes de discernement quant au possible accès aux sacrements de quelques « divorcés engagés dans une nouvelle union. » Il nous semble approprié, en tant qu’évêques d’une même région pastorale, de convenir de quelques critères minimaux. Nous en faisons la proposition sans préjudice de l’autorité que détient chaque évêque dans son propre diocèse pour les préciser, les compléter et les délimiter.

1. En premier lieu, nous devons nous souvenir qu’il ne convient pas de parler de « permissions » d’accès aux sacrements, mais d’un processus de discernement accompagné par un prêtre. Il s’agit d’un discernement « personnel et pastoral » (n. 300).

2. Au cours de ce cheminement, le pasteur devrait mettre l’accent sur l’annonce fondamentale, le kérygme, qui stimule ou renouvelle la rencontre personnelle avec Jésus-Christ vivant (cf. n. 58).

3. L’accompagnement pastoral est un exercice de « via caritatis ». Il s’agit d’une invitation à suivre la route « de Jésus : celle de la miséricorde et de l’intégration » (n. 296). Cet itinéraire requiert la charité pastorale du prêtre qui accueille le pénitent, l’écoute avec attention et lui montre le visage maternel de l’Église, tout en acceptant sa juste intention et sa bonne résolution d’exposer sa vie entière à la lumière de l’Évangile et de pratiquer la charité (cf. n. 306).

4. Ce chemin n’aboutit pas nécessairement aux sacrements. Il peut s’orienter vers d’autres manières de s’intégrer davantage dans la vie de l’Église : une plus grande présence dans la communauté, la participation à des groupes de prière ou de réflexion, l’engagement auprès de divers services ecclésiaux, etc. (cf. n. 299).

5. Quand les circonstances concrètes de la vie d’un couple le permettent, en particulier quand les deux personnes sont chrétiennes et témoignent d’un parcours de foi, il est possible de leur proposer de s’engager à vivre dans l’abstinence. Amoris laetitia n’ignore pas les difficultés de cette option (cf. note 329) et laisse ouverte la possibilité d’accéder au sacrement de la Réconciliation en cas de défaillance (cf. note 364, Lettre de Jean-Paul II au cardinal 22 mars 1996).

6. En d’autres circonstances plus complexes, et lorsqu’il n’a pas été possible d’obtenir une déclaration de nullité, l’option mentionnée peut ne pas être, de fait, réalisable. Toutefois, un parcours de discernement est également possible. Si l’on parvient à reconnaître que, dans un cas concret, il existe des limitations qui atténuent la responsabilité et la culpabilité (cf. n. 301-302), en particulier quand une personne estime qu’elle commettrait une nouvelle faute qui pourrait nuire aux enfants de la nouvelle union, Amoris laetitia ouvre la possibilité de l’accès aux sacrements de la Réconciliation et de l’Eucharistie (cf. notes 336 et 351). Ceux-ci, à leur tour, disposent la personne à continuer de mûrir et de croître avec la force de la grâce.

7. Cependant, il faut éviter de comprendre cette possibilité comme un accès sans restriction aux sacrements, ou comme si n’importe quelle situation pouvait le justifier. Ce qui est proposé est un discernement qui fasse dûment la distinction au cas par cas. Par exemple, une « nouvelle union provenant d’un divorce récent » ou « la situation d’une personne qui a régulièrement manqué à ses engagements familiaux » (n. 298) requiert une attention toute particulière. De même lorsqu’il y a une sorte d’apologie ou une volonté d’ostentation de la situation même, comme si elle « faisait partie de l’idéal chrétien » (n. 297). Dans ces cas plus compliqués, nous, pasteurs, devons accompagner avec patience, en veillant à proposer un chemin d’intégration (cf. 297, 299).

8. Il est toujours important d’orienter les personnes à la prise de conscience de leur situation devant Dieu et c’est pourquoi « l’examen de conscience » proposé par Amoris laetitia (n. 300) est utile, surtout en ce qui concerne la manière dont elles « se sont comportées envers leurs enfants » ou envers le conjoint abandonné. Quand certaines injustices n’ont pas été résolues, l’accès aux sacrements est particulièrement scandaleux.

9. Il peut s’avérer opportun qu’un éventuel accès aux sacrements s’effectue de manière discrète, surtout quand des situations conflictuelles sont prévisibles. Mais en même temps, il ne faut pas cesser d’accompagner la communauté afin qu’elle continue de croître dans un esprit de compréhension et d’accueil, sans que cela crée de confusion quant à l’enseignement de l’Église concernant l’indissolubilité du mariage. La communauté est l’instrument de la miséricorde « imméritée, inconditionnelle et gratuite » (n. 297).

10. Le discernement ne se referme pas parce qu’il « est dynamique et doit demeurer toujours ouvert à de nouvelles étapes de croissance et à de nouvelles décisions qui permettront de réaliser l’idéal plus pleinement » (n. 303), selon la « loi de gradualité » (n. 295), et en ayant confiance en l’aide de la grâce.

Nous sommes avant tout des pasteurs. C’est pourquoi nous voulons accueillir ces paroles du pape : « J’invite les pasteurs à écouter avec affection et sérénité, avec le désir sincère d’entrer dans le cœur du drame des personnes et de comprendre leur point de vue, pour les aider à mieux vivre et à reconnaître leur place dans l’Église. »

Avec notre affection en Christ.

La réponse du pape François aux évêques de la Région pastorale de Buenos Aires

Mgr Sergío Alfredo Fenoy,
délégué de la Région pastorale de Buenos Aires

Cher Frère,

J’ai reçu la lettre de la Région pastorale de Buenos Aires intitulée « Critères de base pour l’application du chapitre VIII d’Amoris laetitia. » Je vous remercie de me l’avoir envoyée ; et je vous félicite pour le travail accompli : véritable exemple d’accompagnement des prêtres… et nous savons tous combien est nécessaire cette proximité de l’évêque auprès de son clergé et du clergé auprès de son évêque.
Le prochain « le plus proche » de l’évêque est le prêtre, et le commandement d’aimer son prochain comme soi-même doit s’appliquer en premier lieu à nous, évêques, précisément vis-à-vis de nos prêtres.
Cette lettre convient tout à fait. Elle explicite pleinement le sens du chapitre VIII d’Amoris laetitia. Il n’y a pas d’autre interprétation. Et je suis sûr qu’elle fera beaucoup de bien. Que le Seigneur vous accorde ses faveurs pour cet effort de charité pastorale. Et c’est précisément la charité pastorale qui nous amène à sortir à la rencontre de ceux qui se sont éloignés, et une fois que nous les avons rencontrés, à initier un parcours d’accueil, d’accompagnement, de discernement et d’intégration au sein de la communauté ecclésiale. Nous savons combien cela est ardu, il s’agit d’une pastorale « corps à corps » qui ne se satisfait pas de médiations programmatiques, organisationnelles, juridiques, bien qu’elles soient nécessaires. Simplement accueillir, accompagner, discerner, intégrer. Parmi ces quatre attitudes pastorales, la moins cultivée et pratiquée est le discernement ; et je considère qu’il est urgent de former au discernement, personnel et communautaire, dans nos séminaires et au sein de notre presbytérium.
Enfin, je voudrais rappeler qu’Amoris laetitia est le fruit du travail et de la prière de toute l’Église, grâce à la médiation des deux synodes et du pape. C’est pourquoi je vous recommande une catéchèse complète de l’exhortation qui certainement contribuera à la croissance, à la consolidation et à la sainteté de la famille.

De nouveau je vous remercie pour le travail accompli et je vous encourage à poursuivre, au sein des différentes communautés des diocèses, l’étude et la catéchèse d’Amoris laetitia.

S’il vous plaît, n’oubliez pas de prier et de demander qu’on prie pour moi.

Que Jésus vous bénisse et que la Vierge Marie veille sur vous.

Fraternellement,

(*) Traduction française de Sophie Gallé pour La DC. Titre et note de La DC.

(1) DC 2016, n. 2523, p. 5-96.