Les enfants prêcheurs au Brésil

La journaliste Emmanuelle Eyles est allée au Brésil pour le magazine Marie Claire afin de rencontrer ces enfants prêcheurs. Agés entre 3 et 13 ans, ils imitent les pasteurs qu’ils voient lors des cultes depuis leur naissance et sont le fer de lance de l’expansion évangélique dans le pays. 

Les enfants prêcheurs au Brésil © Maxppp

Vous êtes allée enquêter sur le phénomène des enfants prêcheurs au Brésil, ces mini pasteurs dont le nombre explose et qui ravissent les foules de fidèles. Qui sont-ils exactement ?

Le Brésil est un des pays les plus religieux au monde. Les églises évangéliques y connaissent une envolée énorme. Le catholicisme y est en perte de vitesse et 23% des 201 millions de Brésiliens sont aujourd’hui évangéliques. Tout le monde peut s’exprimer pendant le culte. C’est ainsi que des vocations naissent chez les enfants qui prennent le micro comme les autres et deviennent de vraies vedettes.

Quel âge ont-ils ? Qui les a formés ? Que font-ils exactement ?

Ils ont entre 3 et 13 ans. Ils imitent les pasteurs qu’ils voient lors des cultes depuis leur naissance. Leurs performances sont assez spectaculaires, plus ils sont petits, plus ils miment les grands et plus les grands sont impressionnés. La foi et la bonne foi de ceux que j’ai rencontrés sont sincères. Ils se sentent vraiment investis d’un rôle à jouer auprès des miséreux et des malheureux. Ils disent être l’instrument de Jésus et vouent beaucoup de leur temps libre aux prêches dans les hôpitaux, centre de desintox, refuges pour SDF etc. Ce que j’ai moins aimé, c’est le rôle de certains parents qui les poussent en avant et y voient un moyen de faire de l’argent.

Au Brésil, une église évangélique se monte comme un business. Il suffit de huit personnes dont un directeur et un trésorier. Beaucoup d’ex-bad boys se lancent là-dedans et fondent leur propre église afin de toucher la dîme des fidèles. On ne sait même pas combien il y a d’églises évangéliques dans le pays. Elles ouvrent tous les jours. On devient pasteur du jour au lendemain. J’en ai rencontré un, Santo Adauto, qui prétend que sa fille fait des miracles et la pousse sans vraiment lui laisser le choix. La gamine a sept ans, elle ne connaît rien d’autre puisque son père est prêcheur et, pour l’instant, elle s’exécute, avec conviction et beaucoup de cœur. Son site internet a déjà reçu trois millions de visites, à cinq ans, elle prêchait devant un stade de 10.000 fidèles. Chaque samedi, elle anime sa propre web-radio sous la houlette de papa.

Que dit la justice devant le phénomène ?

J’ai interrogé l’avocat Carlos Nicodemos à ce sujet et il m’a expliqué qu’ils ne peuvent pas intervenir tant que ces enfants vont à l’école et qu’ils ont du temps libre. Dans un pays où les enfants des rues sont encore beaucoup trop nombreux, c’est difficile de dénoncer le fait que ces enfants, qui le souhaitent, “travaillent” au sein des églises évangéliques.

Sont-ils rémunérés ?

Ceux que j’ai rencontrés ne l’étaient pas. Mais la vente de CDs, de t-shirts à leur effigie, de posters etc. peut rapporter. Le pasteur Adauto que j’ai cité plus haut touche la dîme des fidèles et c’est sa fillette de sept ans, Alani, qui attire les foules.

En somme, ces enfants font une excellente publicité aux églises évangéliques ?

Oui, ils sont le fer de lance de l’expansion évangélique dans le pays. Ils incarnent la pureté, l’innocence, la parole de Jésus et certains prétendent pouvoir guérir par la prière et l’apposition des mains. Ils vont où la police, elle-même, ne va pas : dans les cartels, dans les bidonvilles mal famés, les bordels etc. Leur force, c’est de venir en aide aux plus démunis, là ou même les pouvoirs publics brésiliens ont baissé les bras.

Avez-vous assisté à des miracles ?

J’ai vu Alani poser ses mains sur la tête de fidèles qui se plaignaient d’avoir mal à la tête et du mal à marcher. Le pasteur, son père, a ensuite demandé aux fidèles de courir dans l’église et ils se sont exécutés dans la liesse générale : mais comment savoir qu’il n’y a pas mise en scène, vraiment ? Ce que je retiens, c’est ma rencontre avec Adrianne, 12 ans, qui prêche depuis l’âge de 3 ans et donne beaucoup de son temps aux nécessiteux. Elle veut être médecin plus tard, pour aussi aider ceux qui n’ont pas la foi et comme elle a la tête bien faite, je pense qu’elle y arrivera.