Le pessimiste patriotique: Un mal pernicieux parmi les combattants ?

Le pessimiste patriotique: Un mal pernicieux parmi les combattants ?Par Freddy Mulongo, dimanche 12 octobre 2014   Radio Réveil FM International 

Philippe Kabongo-Mbaya, pasteur et activiste congolais. Président du REAJI, Réseau International des Amis du Prophète Jonas. Réseau des pasteurs progressistes militant pour une autre Afrique. Photo Réveil FM International

Quand on lit ou lorsqu’on entend certaines déclarations de nos compatriotes, on a le sentiment que le Congo est un enfer et que beaucoup de ses habitants sont des monstres. En disant cela, je ne veux pas du tout relativiser le mal et le chaos auxquels ce pays est confronté, ni exonérer les comportements coupables, la cruauté et les crimes dont nous connaissons les premiers coupables en RDC. Loin de là. Naturellement. Cela fait près de quarante ans que, pour ceux et celles de ma génération, nous dénonçons cette situation et la combattons sans relâche. Je voudrais cependant m’exprimer sur un phénomène important que l’on observe parmi la génération la plus prometteuse, pourtant, dans l’actuelle mobilisation pour un autre avenir au Congo. Elle semble plus menacée par un pessimisme pernicieux en son propre sein, que par les actions de ceux qu’elle combat. De quoi s’agit-il ?

Vous avez des étrangers de toutes origines, impliqués dans le pillage du Congo, qui vous disent que cela ne va pas si mal que ça dans ce pays. Les kabilistes et leurs alliés à la mangeoire pensent même que nous sommes largement sur la bonne voie, à cause d’eux, évidemment. Un discours de propagande, aussi cynique que vil. La caricature de ce discours et son incarnation vivante c’est Lambert Mende, le tshaku de cette république, son griot officiel. Je pense en particulier au rapport qu’il a présenté dernièrement aux Américains, lors de la table ronde, organisée par ces derniers, entre le pouvoir kabiliste et les membres de l’opposition, à la marge du fameux sommet de Washington, initié par Barack Obama. Un discours volontairement trompeur, une manipulation verbale dont il a le secret. Pour lui et pour ses amis, tout est en bonne voie : le Congo se relève et…vous allez voir ce que vous allez voir.

Tel est le discours optimiste extrêmement anesthésiant, dont les musiciens congolais distillent des bonnes doses au peuple, au sein d’une large coalition hétéroclite des grands alimentaires du pays. Parmi ceux-ci : les musiciens « chrétiens », les « bishops » et les « prophètes » de mabonza, ces impitoyables bourreaux des consciences. Ils sont tous sur le même front. Celui du contrôle du marché de l’optimisme illusoire nécessaire à la débrouillardise collective. La propension de nos compatriotes à se laisser berner est à la fois désarmante, franchement démobilisatrice. Les pieds bien au chaud dans un appartement à Londres ou à Bruxelles, les « il n’y a qu’à… » ne savent rien d’autre que se scandaliser : pourquoi ce peuple ne se soulève-t-il pas ? Ils se scandalisent de ce que les autres ne font pas, mais qu’ils se gardent bien de faire eux-mêmes… Le régime peut ainsi s’éterniser par une désillusion généralisée.

Philippe Kabongo-Mbaya, pasteur et activiste congolais. Président du REAJI, Réseau International des Amis du Prophète Jonas. Réseau des pasteurs progressistes militant pour une autre Afrique. Photo Réveil FM International

Le pessimiste patriotique

Le pessimisme patriotique n’est pas l’inverse de cette situation et du discours rassurant de ceux qui gouvernent actuellement le Congo. Il ne consiste pas à simplement contredire ce qu’affirment les kabilistes, à dénoncer leurs mensonges et leur irresponsabilité devant l’état réel du pays. La désillusion patriotique est un phénomène qui frappe d’abord par son impact au sein même des forces de changement, face à l’inacceptable qui est en place. Cette désillusion est décelable aussi bien parmi l’opposition classique qu’à l’intérieur des nouvelles générations, pourtant bien consciente des périls que court la nation. Je pense aux « combattants/combattantes » au pays comme, notamment, à ceux qui sont l’étranger et que je côtoie.

Malgré ma longue expérience avec les ambiguïtés et autres faiblesses en ces milieux de lutte, je reste quelquefois impressionné par la virulence des insultes, des dénonciations, des calomnies, les paroles et les actes de haine que les « combattants/combattantes » se lancent à la figure les uns les autres ! La charge de détestation ressemble à s’y méprendre à l’amertume vengeresse que l’on nourrit à l’égard des extrémistes tutsi et d’autres ennemis du Congo. On y va sans retenue, très « méchants-méchants » et d’abord contre les frères et les camarades dans la cause. C’est à croire qu’il y a plus de « collabos » parmi nous qu’à l’intérieur du régime. On s’accuse réciproquement de traître, etc. Cette rage d’autodestruction étant vécue et assumée avec une totale désinvolture morale. C’est clairement une forme de pulsion suicidaire politiquement aveugle. Ramener cette manière de voir les choses uniquement à une simple « guerre des égos », n’est-ce pas minimiser le phénomène ?

Comment expliquer cette conduite collective aussi effroyable que nocive ? N’y- a-t-il pas là un signe d’une profonde déception, cette sorte d’abîme de méfiance, qui se creuse inexorablement et place chacun/ne devant l’impasse et l’impuissance et qui neutralise la capacité d’initiatives collectives ? On ne voit spontanément que la faute et les erreurs des autres. Mais malgré tout chacun/ne sait que l’autre est loin d’être dupe, qu’il pense de moi ce que je pense de lui… Redoutable jeu pervers, qui détruit la confiance !

Et c’est de cette manière que l’on s’isole, en croyant se protéger. Le combat politique devient quelque chose qui ressemble à une secte ou à la logique sectaire. Le venin du pessimisme patriotique se pare des fiertés particulières dont on est très conscient, de mérites personnels que l’on revendique, de références régionalistes, voire d’un certain tribalisme hérité du mobutisme. La séduction de la désillusion est d’autant plus redoutable qu’elle est toujours insensible, perçue généralement comme un désir légitime d’une organisation pure, honnête, efficace ; en somme le rêve d’un groupement ou d’un mouvement parfait et performant.

Philippe Kabongo-Mbaya, pasteur et activiste congolais. Président du REAJI, Réseau International des Amis du Prophète Jonas. Réseau des pasteurs progressistes militant pour une autre Afrique. Photo Réveil FM International

Diaboliser les autres

Il y a une manière de diaboliser les autres qui n’est en réalité que le miroir de notre propre handicap, le syndrome d’un pessimisme que l’on a vis-à-vis du Congo, un pessimisme secret, inavouable, tout au fond de soi-même. Cela parce que l’on croit spontanément que l’on pense juste, qu’on n’est entouré que des tarés et des traîtres ! Mais cela aussi simplement parce que l’on a honte de sa propre autocritique. Car dans l’interaction, toute analyse juste des choses, des actes des autres et de soi-même demande un courage que l’on ne soupçonne pas.

Un mot encore sur cette demande de perfection et l’amour du « zéro erreur » en politique. C’est le même phénomène que celui de celles et ceux qui cherchent une « Eglise des purs », qui passent d’une chapelle à l’autre à l’autre, en quête d’une Eglise modèle. Moi qui suis pasteur, je peux vous dire que le jour où vous en trouverez une, quittez-la tout de suite, car elle ne va pas tarder de vous décevoir…en devenant « impure » à son tour.

Quelle solution préconiser face à tout cela ? Le courage.

Philippe Kabongo-Mbaya, pasteur et activiste congolais. Président du REAJI, Réseau International des Amis du Prophète Jonas. Réseau des pasteurs progressistes militant pour une autre Afrique. Photo Réveil FM International

Il faut faire avec…

Il faut faire avec. Il faut trouver le moyen de transformer les défauts des autres en atouts. Tous les médicaments que nous prenons, chacun/ne le sait, ont des effets indésirables ; et pourtant, ces substances savamment dosées ou associées à d’autres, donnent des résultats positifs. Tel est menteur ou manipulateur ? Il faut le valoriser, le placer là où ses tendances pourraient paradoxalement aider le combat. Tel autre est plutôt traître ou délateur ? Utilisez-le pour une communication stratégique ciblée, pour vous protéger de l’intox des autres. Tel est quant à lui mondain ou flatteur… Faites-en un diplomate. Celui-ci est une grande gueule… ? Son verbe facile peut motiver et galvaniser les indécis. Voici un robuste nerveux, qui ne demande qu’à cogner… ! Vous pouvez en avoir besoin pour le service d’ordre, c’est juste un exemple.

Bien évidemment cela n’est pas à appliquer comme une recette magique. Il faut inventer des solutions, persévérer dans la créativité organisationnelle, refuser d’être défaitiste, chercher toujours à être astucieux et pugnace. En restant constamment sur le qui-vive, prudent comme un serpent, l’œil rivé sur les vrais objectifs du combat.

On a tendance à se laisser impressionner par les résultats des autres, par leur réussite. Et en ce moment la combativité des jeunes et de l’opposition burkinabaise nous interpelle, de même que les « Y’en a marre » dakarois face à Wade, voici trois ans. Cette admiration des autres peut aller très loin, comme s’ils étaient des génies, supérieurs et meilleurs que nous. C’est faux, complètement faux ! En réalité, quand nous citons les autres en exemple, nous nous arrangeons pour occulter tout ce qu’ils ont dû endurer, tout ce qu’ils ont surmonté. Nous croyons naïvement que c’était facile pour eux ; au fond, c’est pour nous persuader que notre tâche à nous est presque surhumaine.

Nous apprécions ouvertement les autres, en nous sous-estimant nous-mêmes. Secrètement ou sans en avoir conscience, nous avons pris l’habitude de nous déconsidérer nous-mêmes un peu trop facilement. C’est de cette manière que s’installe une mentalité de méfiance, toujours surdimensionnée, que j’appelle le « pessimisme patriotique ». Charles Onana avait noté que certains congolais ont tendance à croire que Kagame et les siens sont plus « intelligents » que tous les congolais! L’autoflagellation et la dépréciation de soi trop courantes parmi nous ne nous interpellent même plus ! Ou bien alors, c’est l’autre extrême, à savoir la mégalomanie : on ne supporte pas que son analyse de la situation soit relativisée ou rejetée par les autres. De même pour les initiatives et actions à mener : tout devient du narcissisme intouchable. Une attitude capable de tout paralyser, dans une logique de c’est à prendre ou à laisser…Dans un cas comme dans l’autre, on trouve le même défaut de discernement. Comme si au bout du compte, il y avait un désir inconscient de l’échec permettant de lancer aux autres, avec plaisir, « je vous l’avais bien dit… ». C’est ainsi que le pessimisme nourrît l’immobilisme, l’attentisme, voire la lâcheté.

Contrairement à ce que l’on croit, lorsque l’on pèse les risques et les difficultés en politique, ce n’est pas simplement par prudence avant d’agir, mais stratégiquement par la nécessité même d’agir, puisque l’on doit agir. A cet égard, l’exemple de Madiba (Nelson Mandela) reste éloquent. La rapidité de l’intelligence et la fermeté du courage déterminent un dynamisme politique de portée historique.

Philippe Kabongo-Mbaya, pasteur et activiste congolais. Président du REAJI, Réseau International des Amis du Prophète Jonas. Réseau des pasteurs progressistes militant pour une autre Afrique. Photo Réveil FM International

La politique se fait avec des hommes réels

L’essentiel est de comprendre, d’accepter, que la politique se fait avec des hommes réels, devant des enjeux réels, et non avec des êtres de rêve, dans une lutte imaginaire.

Nous aimerions que le changement se produise de lui-même comme par une baguette magique, sans effort durable… Et puisque les choses tardent, la frustration prend une dimension insidieuse, mais que chacun/ne s’efforce de dissimuler. Quelqu’un disait : même les animaux vont bientôt violer les femmes congolaises et humilier notre dignité… ! C’est ce sentiment de dégoût qui génère le doute, puis la désillusion ; comme si les choses pouvaient changer d’elles-mêmes. L’indifférence et le découragement précèdent une forme d’irresponsabilité sous la conviction affichée du tout ou rien. La passion pour le Congo produit alors une attitude intraitable proche de l’angélisme « politique », si je puis dire. La grande passion pour la libération du pays tourne ainsi en une aversion sévère envers le reste des congolais. La défiance et le doute vis-à-vis des autres congolais deviennent la règle, d’une conduite nationale d’impuissance et de désillusion.

Le pessimisme patriotique n’est pas une fatalité. A condition de bien mesurer la gravité des maux qui nous minent et des dangers qui nous menacent !

Si nos contradictions internes ne sont pas dépassées et reconverties en avantages pour la lutte, ce ne sont pas le régime de Kanambe et ses alliés régionaux et internationaux qui nous détruiront, mais cette culture diabolique de méfiance et d’auto-détestation, qui gagne peu à peu les jeunes générations.

Sortir de la grande nuit

La confiance, le courage, l’intelligence, la détermination et toutes les autres vertus peuvent être de dons, des capacités innées. Quand ce n’est pas le cas, il faut chercher à être « initié », informé sur la profondeur du mal et sur les possibilités de le surmonter. Pour y arriver, il n’y a pas plusieurs chemins, il faut apprendre à bien s’informer. Il est grand temps de réinitialiser les énergies propres de cette lutte ; il est grand temps que « le combat intelligent » cesse d’être une incantation burlesque. Il est grand temps de passer à un niveau supérieur de l’audace. Cela exige une formidable confiance en soi et dans les autres. C’est la seule façon de tordre le coup au pessimisme patriotique ambiant. Il n’y a visiblement plus aucun autre chemin. Celui qui reste devant nous conduit aux efforts immenses et aux terribles sacrifices.

Vous croyez que les Ecoles de guerre, les MBI (Master Business Institut), les Instituts de relations internationales, de communication, etc., qui fabriquent l’élite occidentale, le font-ils pour quelles raisons ? N’est-ce pas pour tirer avantage des peuples endormis ? Ceux qui sont plus préoccupés par la mort ou la survie, que par la vie qui toujours exige un sens radical de liberté.

Il faut sortir de la grande nuit pour sauver le Congo.

Philippe Kabongo-Mbaya, pasteur et activiste congolais. Président du REAJI, Réseau International des Amis du Prophète Jonas Réseau des pasteurs progressistes militant pour une autre Afrique

Il faut sortir de la grande nuit pour sauver le Congo.

Philippe Kabongo-Mbaya, pasteur et activiste congolais.

Président du REAJI, Réseau International des Amis du Prophète Jonas

Réseau des pasteurs progressistes militant pour une autre Afrique