La revanche tranquille des pasteurs et éleveurs

Quelle histoire que celle du ranch de Dolly ! On ne se lasse jamais de la raconter dans l’univers des espaces pastoraux au Sénégal et en Afrique de l’ouest. Un moment, « terre verte », il a vu passer nombre d’agronomes, de sociologues et de chercheurs en médecine vétérinaires et en développement des terroirs. Un temps laissé seul et en souffrance dans le vaste domaine des vieilles terres du Djoloff, et enfin pressenti pour être aux mains d’affairistes et de familles dont le seul souci est d’en faire une zone de monoculture. C’était sans compter avec la détermination des éleveurs frustrés par le choix accordé aux autorités à l’agriculture essentiellement, et l’amenuisement de leurs terres de parcours.

Terre par excellence du pastoralisme, le ranch a souffert de l’absence d’un code au niveau du Sénégal. Depuis 1969, date de son inauguration, ce territoire n’a pas connu de programmes de développement de ses infrastructures. Les ministres passaient, de l’Agriculture, de l’élevage, du développement rural, sans se soucier du sort de cette niche de réserves de pâturages pour le bétail en  de soudure. Laissé aux feux de brousse et aux pauvres éleveurs du centre, la gestion de cet immense terroir n’a été qu’un vain mot dans. Plus grave, rien autour de cet espace n’avait été simple. Enorme flou autour de la vocation d’un ranch. Mystère pour ce qui est du statut clair. Même si selon les conservateurs, ce statut existait bel et bien. Mais, cela restait une voix contre celle d’un autre.  Il est vrai que la zone reste encore bien marquée par l’influence de l’oralité, faute d’écoles et de salles de classes en nombre  pour les enfants et de grands cadres adaptés à l’alphabétisation. Il est encore une terre mystérieuse entourée de mythes. 

 Des géographes, des historiens, des sociologues et anthropologues s’y sont penchés pour produire encore aujourd’hui une grosse documentation qui est rare pour des aires de pâtures connues dans ce continent qui n’accorde pas encore à l’élevage toute la place qu’il mérite. La preuve : Le ranch de Dolly est situé dans la région de Louga, à l’extrême Sud du département de Linguère, dans les communautés rurales de Thiel et de Gassane. Il s’adosse à la région de Matam au Nord et à celle de Kaffrine au Sud-est. Le ranch est entouré par plusieurs grands domaines agricoles, en particulier ceux de Khelkom au nord–est, Darou Miname à l’Ouest et Touba Allieu au Sud.

 Ce domaine qui couvre une superficie de 87 500 ha a été longtemps miné par son enclavement. Mais également, par des conditions climatiques et pluviométriques qui influencent fortement les éléments biophysiques.  Du point de vue de l’occupation de l’espace, Dolly est subdivisé en quatre secteurs : Diaga (23 904 ha), Thiabouli (14 517 ha), Ogo (21 757 ha) et Dioridi (22 255 ha). Plusieurs entrées ont été aménagées au niveau de la clôture périphérique. L’existence de ces portes permettant aux transhumants d’emprunter différents itinéraires pour accéder au ranch.

Ce domaine agro sylvo–pastoral constitue également une vaste zone tampon sur les plans morpho–pédologique et climatique qui lui confère une réelle diversité écologique. Le climat local est de type sahélien, avec quelques influences du domaine soudanien comme en atteste la couverture herbacée abondante en saison pluvieuse. Les ressources hydriques sont constituées par les forages à exhaure mécanique et les mares temporaires qui sont alimentées en eau pendant la saison des pluies.

Autrefois, la biomasse était constituée pour l’essentiel de graminées, de dicotylédones, d’arbustes et d’arbres fourragers avec des espèces écotypes variant selon les types de sols. Du fait de la diversité des sols de la zone, le ranch disposait de pâturages abondants et riches, avec des strates herbacées et des pâturages aériens qui se complétaient tout au long de l’année, et particulièrement pendant les périodes critiques de la saison sèche.  Au fil des années, l’ouverture du ranch et l’absence d’un dispositif de contrôle de l’accès aux ressources naturelles qui y sont disponibles ont conduit à une dégradation de l’environnement physique. Actuellement, le tapis herbacé présente de moins en moins de graminées. De l’avis des éleveurs qui y résident, le ranch est envahi, par endroits,  par une espèce non appétée par le bétail (dengue en pular).

Laissé à l’abandon, le ranch de Dolly n’a pas connu de réhabilitation, perdu au centre de la savane dégradée aux allures d’une steppe du centre du Ferlo. Privé d’eau, seulement doté d’un outillage sommaire et inadapté, Dolly et son monde d’élevage ont pris peur quand, à un moment de la présidence de Me Wade, l’idée a été émise de remettre une partie de son domaine à un privé. La suite est digne d’une « guerre de résistance » qui allait durer un siècle ou deux avec son lot de difficultés, de bataille de successions etc.

L’ancien président de la République,  avant son départ à la tête de l’Etat, en mars 2012, a tôt fait de comprendre l’extrême sensibilité de la question foncière autour du ranch, quand au mois de novembre 2011, autre coïncidence avec cette visite de son successeur  Macky Sall, tous les éleveurs du Sénégal se sont retrouvés à Dolly pour lui demander de leur laisser la zone et également de laisser au ranch son ancienne vocation pastorale.  L’homme n’avait pas seulement reculé ;  il avait le choix responsable de ne pas embraser une zone névralgique de l’économie pastorale au Sénégal.

 Un paradis vert  pour le bétail

 Les travaux de mise en place des infrastructures et des équipements (pose de la clôture périphérique, délimitation des parcelles, ouverture des pare-feux, implantation des forages, des réservoirs, des abreuvoirs, des parcs à vaccinations, des magasins, etc.) ont été achevés en 1968. L’inauguration du ranch par le Président Senghor a eu lieu en 1969. Pour assurer la gestion et l’exploitation du domaine, l’Etat a signé une convention avec la Société d’exploitation des ressources animales du Sénégal (Seras). La Seras procédait à l’achat de veaux mâles à leur sevrage. Ces animaux acquis auprès des coopératives d’éleveurs de la zone sylvo-pastorale étaient engraissés sur les pâturages du ranch de Dolly. Après un séjour de deux ans dans le ranch, ils atteignaient un poids vif de 300 à 400 kg. C’est à ce stade de croissance pondérale que la Seras envoyait les animaux aux abattoirs de Dakar.

A la fin de la convention entre l’Etat et la Seras en 1976, la gestion a été assurée de façon intérimaire par la Direction de l’Elevage jusqu’en 1979 date à laquelle le Gouvernement a signé une nouvelle convention avec la Société de Développement de l’Elevage dans la Zone Sylvo-Pastorale (Sodesp). La suite a été moins glorieuse jusqu’à la mobilisation des populations d’éleveurs accompagnée par l’Ong Cerfla et certains élus de la région qui n’ont pas manqué de faire entendre leur voix chaque fois que l’occasion se présentait.

 Un forum national et le déclic

La visite de Macky n’est pas un fait du hasard si on remonte un peu aux derniers développements qui ont secoué la vie du ranch de Dolly. Il s’inscrit dans une forme de reprise en main du territoire, mais encore dans le souci de répondre à une demande faite par les éleveurs depuis quelques années.  Depuis 2011 et même bien avant, nombre d’associations d’éleveurs se sont inquiétées d’une probable extension des terres de culture dans le cœur du ranch et les promesses entretenues autour de l’agrobusiness et d’un élevage d’affaires qui prend forme dans le continent avait alerté les acteurs du monde rural intéressé par l’élevage.

Mais tout part d’une date mémorable dans la vie des éleveurs sénégalais, depuis les assises tenues en 1997, à Thiès. Les 25 et 26 novembre 2011, s’est tenu le premier forum national autour de la problématique de la sécurisation foncière de la vocation pastorale du ranch de Dolly. Cette rencontre inscrite dans le cadre d’un projet exécuté par l’Ong *Centre d’études, de recherche, de formation en langues africaines (Cerfla) en réponse à une requête formulée par les organisations communautaires de base de la zone de Dolly.

Cette rencontre a regroupé plus de quatre cents participants provenant de plusieurs régions du pays et appartenant à différentes catégories d’acteurs, notamment : les représentants des institutions publiques, en particulier l’Assemblée nationale, le Conseil économique et social et le ministère de l’Environnement et de la Protection de la Nature. On peut ajouter à ce groupe, les responsables de l’Administration territoriale et des services techniques déconcentrés du département de Linguère, les mandataires des Ong faîtières et organisations professionnelles d’agriculteurs et d’éleveurs (Congad, Cncr, Apess, la Maison des Eleveurs, le Dinfel, etc.)

Au niveau local, les représentants de l’Association des élus locaux du département de Linguère,  présidents des communautés rurales de Boulal, Gassane, Thiel et Vélingara; responsables des Ocb implantées dans la zone  comme Nanondiral et d’autres entités, comme les groupements de Promotion féminine et collectif des éleveurs et usagers du Ranch de Dolly), les représentants des institutions de recherche et de plaidoyer comme  (Enda Pronat, Ifan et Ipar).