La fatwa de Kampala

En chef d’État organisé, Yoweri Museveni a voulu que cela se fasse devant témoins. Lundi 24 février, le président ougandais a donc convoqué en sa résidence d’Entebbe ses ministres, les médias, une demi-douzaine de pasteurs… et une poignée de scientifiques dont les “travaux” présentent l’avantage de certifier que l’homosexualité n’a pas d’origine génétique – ce qui rend responsables, donc coupables, celles et ceux qui partagent cette orientation. De sa plus belle plume de chef d’État, il a alors paraphé la calamiteuse “loi antigay”, votée depuis des semaines par le Parlement de Kampala. Applaudissements, toast et effet immédiat : dès le lendemain, un tabloïd à grand tirage livrait à la vindicte populaire la liste des deux cents homosexuels “les plus connus d’Ouganda”. Bilan : une vague de lynchages. On ne peut qu’être sidéré devant la violence de cette loi régressive, qui condamne à la perpétuité les partenaires d’une relation homosexuelle, rend leur dénonciation obligatoire sous peine de sept années de prison et menace d’expulsion toute société étrangère qui emploierait des gays. La réaction des bailleurs de fonds occidentaux, ainsi que celle de la Banque mondiale, qui ont immédiatement annoncé la prochaine suspension de leur aide financière à l’Ouganda, sont-elles pour autant appropriées ? Rien n’est moins sûr.

Tout comme Robert Mugabe, Goodluck Jonathan et quelques autres présidents ouvertement homophobes, Museveni sait pertinemment ce qu’il fait et pourquoi il le fait. Au pouvoir depuis vingt-huit ans, désireux de rempiler en 2016 mais contesté en interne, l’autocrate ougandais joue sur ce type de loi populiste pour distraire son opinion et sur l’indignation extérieure qu’elle suscite pour provoquer autour de sa personne un prurit d’identité nationale, laquelle serait menacée par les “antivaleurs” occidentales. Le chantage à l’aide, agité par le Premier ministre britannique David Cameron ? Peu lui importe : Museveni est l’un des porte-parole les plus virulents de ce nouveau front du refus africain, boosté par la croissance et l’arrivée de partenaires asiatiques plus compréhensifs, et qui estime pouvoir se passer de ce que l’économiste zambienne Dambisa Moyo appelle “l’aide fatale”. Il sait également que si les Anglo-Saxons ne cachent pas la répulsion que leur inspire la loi antigay (“un jour de deuil pour l’Afrique”, a tweeté Susan Rice) pour des raisons là aussi d’opinion intérieure, ils ne lui demandent pas pour autant de quitter le pouvoir, lui leur allié si précieux contre les jihadistes somaliens. Bref, Museveni joue sur du velours.

On ne fera pas reculer l’intolérance envers les homosexuels africains en faisant comme si ce type de lois répressives n’était pas populaire – elles le sont, hélas, il suffit de parcourir les réseaux sociaux – ni en phase avec des sociétés où la communauté (et le poids de la parenté) détermine toujours la condition des individus et rejette impitoyablement toute déviance supposée. On la fera encore moins reculer en prônant des politiques d’ingérence et de punition qui auront pour effet de renforcer les pouvoirs en place et de faire de la communauté homosexuelle le bouc émissaire idéal des frustrations de la rue. Il faut rechercher d’autres voies, inventer d’autres moyens et surtout faire savoir que si l’homosexualité est aussi vieille et universelle que l’apparition de l’homme, l’Afrique n’est devenue un continent homophobe que récemment, sous l’influence nocive d’Églises évangéliques venues d’outre-Atlantique. Ce n’est pas de chefs traditionnels que s’est entouré Museveni pour décréter sa fatwa, mais de pasteurs chrétiens. Comme quoi, les néocolonisés ne sont pas ceux que l’on dit.