Jean-Pierre Anzala, pasteur de l’Église protestante : « Proposer sans imposer, c’est un peu cela …

Vous avez tenu à rencontrer les parents des prisonniers, pourquoi ?

L’association Men A lespwa et l’aumônerie protestante des prisons sont allées à la rencontre des parents des prisonniers parce que nous avons constaté qu’il y avait un manque dans leur accueil et qu’il fallait vite le combler. En effet, nous avons voulu accueillir d’une façon chaleureuse ces familles qui venaient rendre visite à leurs proches, car aujourd’hui l’accueil est uniquement administratif. Elles doivent s’acquitter d’un certain nombre d’obligations administratives et sont mécaniquement conduites au parloir, avec une faible dimension humaine. Une approche qui manque vraiment d’humanité. Nous avons voulu aussi les rassembler parce qu’elles rencontrent les mêmes difficultés. Notre démarche avait pour but, de leur permettre de partager un temps festif et convivial, une façon de percevoir le lieu autrement, voire de partager et échanger autour de leur expérience.

Une initiative qui rentre dans la politique de l’Église protestante ?

Absolument, nous considérons que notre théologie est une théologie de la grâce et de l’amour, une théologie de la libération de la personne, aussi bien sur le plan spirituel, que politique et économique. Nous pensons donc qu’une personne est accomplie si ces trois aspects de la liberté sont réunis. Il s’agit pour ces personnes, de se laisser accompagner vers cet accomplissement d’eux-mêmes. Nous avons mis en place toute une logistique autour de cette manifestation, à savoir, la location d’un château gonflable pour les enfants, une animation assurée par un DJ, un clown qui nous a fait un spectacle de 45 minutes environ, des temps d’écoute aussi. Nous sommes avant tout des citoyens et des pasteurs, entraînés à l’écoute active des personnes, sans perdre de vue que cette rencontre était avant tout conviviale et citoyenne. Nous avons pu compter sur différents partenaires (la Ville de Baie-Mahault, le centre pénitentiaire, la Banque alimentaire, etc.).

Comment peut-on définir l’Église protestante en Guadeloupe ?

Quand on dit protestant, c’est très vaste. D’ailleurs au niveau de la prison, nous avons une aumônerie protestante qui regroupe des protestants réformés et luthériens que nous sommes, des adventistes, des baptistes, des évangéliques. Mon église présente le protestantisme historique, luthérien et réformé. Car à l’origine même du protestantisme, au XVIe siècle en Allemagne un moine Augustin, qui s’appelle Martin Luther va lancer le protestantisme qu’il synthétisera à travers trois écrits. Il sera relayé en France et à Genève par le réformateur Jean Calvin. Pour le protestant luthérien et réformé, être chrétien c’est être libre : cette liberté m’est donnée pour que je choisisse Dieu librement, sans marchandage, sans lâcheté, sans indulgence et par rapport à l’autre, je me fais libre serviteur. Derrière tout cela il y a une éthique, celle de la liberté et de la responsabilité. Je suis responsable de moi-même et de la société tout entière pour vivre en paix et saintement. C’est un mouvement très jeune en Guadeloupe et en Martinique. Nous sommes arrivés en tant qu’Église par le biais de l’aumônerie protestante des armées, il y avait alors un aumônier qui accompagnait les familles des militaires protestants. Et à l’époque, pour aller au culte, il fallait se rendre sur la base militaire et montrer sa carte d’identité. La communauté protestante était alors composée essentiellement d’expatriés venus s’installer en Guadeloupe ou d’Antillais venus au protestantisme par le biais du mariage pour certains. C’est ainsi que le mouvement a pris racine dans le département. Aujourd’hui, nous représentons une soixantaine de familles environ dans le département.

Quels sont vos rapports avec les autres communautés religieuses ?

Nous sommes implantés sur un site qui appartient aux soeurs dominicaines, qui nous ont cédé une parcelle. C’est là que nous allons construire notre Centre protestant. Donc, dès l’origine, nous vivons l’oecuménisme. Pour les protestants luthero-réformés, l’oecuménisme est une évidence, c’est inscrit dans notre constitution, il s’agit de témoigner du Christ. Nous vivons l’oecuménisme dans le respect et dans l’espérance de l’unité. Il est dit : « c’est à votre amour que le monde saura que vous êtes mes disciples » . Nous avons de bons rapports avec nos voisins, avec l’Église catholique tout entière. Quand cela est possible, nous établissons un dialogue avec les autres religions non chrétiennes.

Votre mission arrive à son terme, quel bilan faites-vous ?

Vivre le christianisme dans la différence et mettre cette différence au service du Christ. C’est le premier bilan que je ferais de mon passage en Guadeloupe. Proposer sans imposer, c’est un peu cela ma politique. L’oecuménisme a été un des temps forts de ma mission. Il s’agissait pour moi de contribuer à rapprocher les chrétiens. L’unité de l’Église passe par les hommes et s’il n’y a pas cette volonté de faire avancer les choses, ce serait un vain mot. J’ai eu la chance de rencontrer des hommes et des femmes qui avaient cette ouverture d’esprit, notamment le Père Jean Hamot qui a commencé le travail en amont et aujourd’hui, Mgr Riocreux, un homme de communication avec qui l’oecuménisme fait son chemin. Et comme je l’ai dit par le biais de l’aumônerie des prisons, je vis l’oecuménisme avec les autres Églises protestantes. Nous témoignons du même Christ et notre présence en Guadeloupe consiste à transformer la société ensemble. Dans notre Église, les pasteurs sont envoyés pour une durée très limitée, quatre ans environ. Après une prolongation d’une année, je laisse la place à mon successeur, le pasteur Christian Bouzy, qui arrivera à la fin des vacances et prendra son poste en septembre.