Église protestante unie : Laurent Schlumberger fait le bilan de son action

Avant de quitter ses fonctions, le pasteur Laurent Schlumberger revient sur le rôle de l’Eglise protestante unie dans la société.

Commençons par la fin. Qu’allez-vous faire au terme de votre mandat ?

Je redeviens pasteur de paroisse, à La Rencontre, à Paris. Il s’agit d’une toute petite communauté qui cherche un nouveau souffle, au milieu d’un quartier où il y a tout à faire : Stalingrad avec ses immigrés et ses exilés, les hôpitaux, les gares, les quartiers très populaires, voire misérables, les quartiers très bourgeois, l’interculturel, etc. L’enjeu est d’imaginer un mode de présence.

Justement, après la présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, l’Église n’a-t-elle pas « raté » quelque chose dans les quartiers déshérités ?

Il y a un gros travail à faire ! Cela fait partie de la volonté de notre Église de sortir de ses murs, d’aller vers les marges, sur le seuil. La Mission populaire évangélique l’a beaucoup fait, à tel point que, là où il avait une Miss’ Pop’, l’ERF s’abstenait d’implanter une paroisse. Depuis un certain temps, ce sont les Églises évangéliques qui le font le plus. De notre côté, il y a des choses à imaginer pour aller plus et mieux à la rencontre des gens comme ils sont. C’est en fait davantage possible aujourd’hui, car il y a beaucoup plus de recherches individuelles et beaucoup moins de transmission par filiation. J’aimerais que l’on puisse imaginer une Église différente d’une vie paroissiale classique.

Cela peut-il avoir un impact politique ?

Notre société est aspirée par un vide, un absurde, un manque de sens qui font des ravages, depuis la surconsommation jusqu’à la violence djihadiste. « Ma vie a tellement peu de sens que je suis prêt à faire passer la colère, la frénésie ou la violence avant tout, car je n’ai plus que cela pour me sentir vivre. » C’est la question du sens, de la vie spirituelle, de la transcendance qui nous est posée à tous. Paul Ricœur disait que le rôle des Églises est de travailler la question du sens et du non-sens.

En 2013, luthériens et réformés ont donné naissance à l’Église protestante unie de France. Est-ce votre plus grand souvenir en tant que président ?

C’est un des souvenirs les plus importants. Cela a été lourd à préparer, le risque étant, à un moment, de s’enliser dans des questions institutionnelles. Il a fallu les honorer, mais leur donner du sens, et revenir à ce qui est la source, la raison d’être de l’Église : l’écoute partagée de la Parole de Dieu. D’où la dynamique : « Écoute, Dieu nous parle… » La journée du 11 mai 2013 à Lyon a été fondatrice. Les dimensions œcuménique et internationale ont été premières. Elle a eu des répercussions dans la plupart des communautés locales, avec des cultes inauguraux. Cela a fait sens pour engager la suite. Cette union s’est très bien passée, alors que le processus a été rapide, décidé en 2007 et finalisé en 2013.

Quel fut le contexte de cette union ?

Ma préoccupation constante a été de chercher à donner de la cohérence et de la confiance. La cohérence pour faire advenir « une Église de témoins », pour passer d’une Église « petit troupeau qui se serre les coudes » à une Église qui essaie de mieux aller à la rencontre des autres. D’où notre approche de l’année 2017, par exemple : ne pas glorifier le passé ni l’identité luthéro-réformée, mais afficher nos thèses pour l’Évangile aujourd’hui. Parallèlement, notre Église avait besoin d’avoir confiance, non pas en elle-même, mais dans ce qu’elle reçoit : confiance en Dieu, confiance des luthériens envers les réformés et inversement, confiance dans le travail d’équipe, confiance dans la mission. On a toujours raison de faire confiance : c’est fécond, ça libère des énergies, ça peut changer la vie des gens. La confiance, c’est la foi.

Il n’a pas manqué de Cassandres pour dire en 2013 que l’union luthéro-réformée était un leurre, qu’elle ne marcherait pas, puis pour dire avant et après le synode national de 2015 que l’Église allait exploser. Et ce ne fut pas le cas.

Revenons sur le synode de 2015 qui a ouvert la possibilité de bénir des couples de même sexe.

La proposition du Conseil national était de travailler sur la manière d’accompagner les personnes et les couples dans des étapes importantes de leur vie, le plus largement possible, et de manifester dans ces moments, heureux ou malheureux, la bénédiction de Dieu : la maladie, la guérison, la retraite, le divorce, etc. Non pas pour dire que « tout cela est bien », mais pour rappeler communautairement aux personnes dans ces moments importants que Dieu les accompagne quoi qu’il arrive.

Mais le travail en paroisses et dans les synodes régionaux a concentré le sujet sur les couples mariés de même sexe, puisque la loi le rendait possible et qu’il y avait des demandes. Il y avait là une question particulièrement difficile, épineuse et urgente. La réponse du synode a été de donner la possibilité aux communautés et aux pasteurs qui le souhaitent de répondre par une bénédiction.

L’ampleur de la majorité avec laquelle la décision a été prise a été mal comprise. Dans un synode, on ne cherche pas à faire triompher une position sur une autre, mais à trouver la position qui doit être celle de notre Église, y compris si, à titre personnel, on n’est pas d’accord.

À la suite de cette décision, il y a eu beaucoup de joie, de reconnaissance, parfois de la fierté, et aussi beaucoup d’incompréhensions. Parce que notre processus presbytérien et synodal est long. Parce qu’il y a eu beaucoup de raccourcis dans les titres des médias.

Le contenu des articles était souvent correct, mais les titres étaient très réducteurs : « Les protestants approuvent l’homosexualité. » Ces raccourcis ont été ravageurs et ont parfois provoqué incompréhension, colère et tristesse.

On s’est employé par la suite, dans notre Église et au sein de la Fédération protestante de France, à entendre ces colère et tristesse et à travailler à les surmonter. C’est en bonne voie.

Le malentendu aurait-il pu être évité, en amont ?

La FPF s’est élargie au monde évangélique à partir des années 1970, et c’est une excellente chose. Mais le travail de fond sur ce que signifie « être ensemble » n’avait pas été mis à jour.

À la suite de cet épisode du synode de l’Église unie en 2015, cette mise à jour se fait. Et elle s’engage bien : la dernière assemblée générale de la FPF a montré une volonté unanime d’avancer ensemble et a choisi de renforcer les collaborations concrètes.

C’est dommage que ce travail n’ait pas été fait entre les années 1980 et 2000, quand on est passé de quelques Églises membres de la FPF, le plus souvent luthéro-réformées, à une trentaine.

Je regrette que des gens aient été blessés, mais je me réjouis que cet éclat débouche sur une lucidité plus grande et sur des liens refondés « en vérité ».

Quelle est la place de l’Église unie au sein de la FPF ?

Elle est au cœur de la Fédération. C’est l’une des maisons où elle se sent pleinement chez elle. Elle en a été cofondatrice.

Elle est le premier fournisseur de ressources en personnes, en argent et elle contribue aussi par ses idées, ses interpellations et ses apports aux débats et aux actions.

Voulez-vous ajouter autre chose ?

Des aspects souvent moins visibles que certains événements médiatisés ont parfois plus d’importance que ce qui « fait le buzz ». Comme, par exemple, nos efforts en matière de communication, de travail avec la jeunesse (Grand Kiff), la production d’outils (papier et numérique, mais aussi formations) pour accompagner les personnes qui exercent une responsabilité dans l’Église. Nous avons exercé une vigilance active sur les questions de société, notamment l’immense question des migrations et l’attitude très frileuse de la République à l’égard des exilés.

Nous avons mis l’accent sur les relations œcuméniques et internationales, renoué des liens profonds avec Taizé, après plusieurs décennies de méfiance et d’incompréhensions. Les trois quarts du corps enseignant de l’Institut protestant de théologie ont été renouvelés en sept ans. L’IPT est entré de plain-pied dans l’ère de l’enseignement numérique à distance. Cette liste est loin d’être exhaustive !

Quel est l’enjeu immédiat des prochaines semaines pour l’ÉPUdF ?

Le synode sur la déclaration de foi. J’espère que nous arriverons au synode national à un bon texte. Comment disons-nous, ensemble, notre foi aujourd’hui ? J’espère que le texte qui sera voté fera consensus, au sens fort, et pas au sens évanescent du terme. Mais il faudra du temps pour savoir si tel est le cas. Et, bien sûr, il y aura aussi les élections pour renouveler les instances de l’Église.

Quel défi voyez-vous à plus long terme ?

Les protestants ne lisent pas assez la Bible. Ils pensent qu’ils le font, mais c’est souvent une posture. Or, c’est un enjeu fondamental. On peut voir l’Église comme une communauté lectrice de la Bible. Si elle ne la lit pas assez, elle perd sa sève, ce qui la nourrit. Et quand nous lisons la Bible, c’est encore trop souvent exclusivement sous un angle intellectuel.

Il faut encourager une lecture existentielle des textes. Lire les Écritures ne doit pas s’arrêter au cerveau mais prendre en compte l’intégralité de la personnalité et de la vie individuelle et de groupe. Dans les lieux où cela se fait, beaucoup de gens viennent, parfois tout à fait inconnus de l’Église. Il y a un grand appétit. Le fait même de lire ensemble avec d’autres met en route quelque chose d’intime et de profondément joyeux.

Propos recueillis par Marie Lefebvre-Billiez

À lire en complément : Église protestante unie : l’au revoir de Laurent Schlumberger