Ces théologiens qui ont résisté à Hitler

Le théologien Dietrich Bonhoeffer (à g.) est entré en Résistance en 1938 grâce à la complicité de son beau-frère Hans von Dohnanyi (en haut à dr.). Avec les hauts gradés Wilhelm Canaris (centre) et Henning von Tresckow (en bas), ils ont participé à un complot pour renverser Hitler. © BArch/DR

Le théologien Dietrich Bonhoeffer (à g.) est entré en Résistance en 1938 grâce à la complicité de son beau-frère Hans von Dohnanyi (en haut à dr.). Avec les hauts gradés Wilhelm Canaris (centre) et Henning von Tresckow (en bas), ils ont participé à un complot pour renverser Hitler. © BArch/DR

31.03.2017

Sous le nazisme, des pasteurs ont osé défier le Führer. Le cas de Dietrich Bonhoeffer est exemplaire

K Pascal Fleury

Résistance »   Face à la montée du nazisme et de l’antisémitisme en Allemagne, des pasteurs courageux ont osé résister. L’un de ces héros antifascistes est le luthérien Dietrich Bonhoeffer, considéré aujourd’hui comme l’un des théologiens protestants les plus marquants du XXe siècle.

La fronde a débuté dès 1933, lorsque Hitler a voulu prendre le contrôle des 28 Eglises protestantes régionales en leur imposant un organisme d’Etat centralisé, dirigé par des évêques pronazis. Le Führer, animé d’une haine abyssale des Juifs et des bolcheviks, rêve de faire de l’Europe orientale «l’espace vital de la race nordique». Mais il craint que les Eglises ne mettent ses projets en danger. Côté catholique, n’ayant aucun pouvoir sur le pape, il négocie un concordat le 20 juillet 1933. Côté protestant, il se montre beaucoup plus autoritaire.

Obligation morale

«Dietrich Bonhoeffer est l’un des premiers théologiens qui reconnaît dans la politique hitlérienne contre les Juifs un problème posé à l’Eglise», observe le pasteur Ferdinand Schlingensiepen, auteur d’une biographie de référence sur le théologien allemand1. Alerté par son beau-frère juriste Hans von Dohnanyi, il intervient publiquement avant même le vote de la loi d’exclusion des fonctionnaires et de son «paragraphe aryen».

«L’Eglise a une obligation inconditionnelle vis-à-vis des victimes de toute organisation sociale, même si ces victimes n’appartiennent pas à la communauté chrétienne», souligne-t-il dans un article intitulé «L’Eglise et la question juive».

«Kirchenkampf»

Un combat acharné, externe et interne à l’Eglise luthérienne – le «Kirchenkampf» – s’engage alors dans le pays. L’évêque Martin Sasse fait flotter le drapeau à croix gammée sur l’évêché de Thuringe, proclamant haut et fort la pensée des chrétiens allemands pronazis: «Il n’y a plus de vie en Allemagne en dehors du Führer.» En face, une vingtaine de théologiens, dont Bonhoeffer, se révoltent. Ils créent la Ligue de crise des pasteurs, qui deviendra le noyau dur de l’Eglise confessante.

En un temps record, environ 2000 clercs s’y rallient. Regroupés autour du théologien Martin Niemöller, ils sont même 7000 en janvier 1934, soit un tiers de tous les pasteurs du pays, à se dresser contre les mesures de persécution antisémites.

Pour sa part, Dietrich Bonhoeffer est appelé par l’Eglise confessante à diriger un séminaire pour la formation des futurs pasteurs à Finkenwalde près de Stettin, mais en 1937 déjà, la police le fait fermer et 27 étudiants sont emprisonnés. La formation se poursuit dès lors plus discrètement sous forme de «vicariats collectifs» animés dans des presbytères.

Dans la Résistance

Bonhoeffer reste sur ses gardes. Il en sait davantage que la plupart de ses collègues sur ce qui se passe réellement en Allemagne. Il est informé par la presse étrangère, par ses relations à Londres où il gère une paroisse, et surtout par son beau-frère juriste, qui rassemble dès 1933 une documentation secrète sur les crimes nazis.

Proche collaborateur du ministre de la Justice Franz Gürt­ner puis conseiller à la Cour de Leipzig, von Dohnanyi sympathise avec le juriste militaire Karl Sack et le colonel Hans Oster. Ce fils de pasteur est l’adjoint de l’amiral Wilhelm Canaris, chef des renseignements militaires (Abwehr). Dès 1938, tous ces hommes influents élaborent des plans pour renverser Hitler. Bonhoeffer est rapidement mis dans la confidence.

Dès lors, le pasteur va s’engager dans la Résistance, tout en poursuivant ses mandats au service de l’Eglise confessante. Alors qu’on lui confie des paroisses dans le nord du Reich, il apprend l’existence d’actions d’euthanasie secrètes dans les asiles et hôpitaux psychiatriques de Poméranie. Par l’intermédiaire de pasteurs, il réussit à faire pression jusqu’à la chancellerie du Reich. En août 1941, Hitler doit mettre un terme par décret à ce programme meurtrier.

Avec von Dohnanyi, désormais au service du contre-espionnage de l’amiral Canaris, Bonhoeffer prend aussi activement la défense des Juifs persécutés. Nommé agent de liaison de l’Abwehr (V-Mann), ce qui lui permet de voyager, il participe à l’«Opération 7», qui permet le sauvetage de quatorze Juifs via la Suisse (lire ci-dessous). Pour les exfiltrer, von Dohnanyi a l’idée ingénieuse de les faire passer pour des «agents secrets» de l’Abwehr, comme le racontent Elisabeth Sifton et Fritz Stern2.

Le 13 mars 1943, les comploteurs de l’Abwehr tentent un grand coup lors de la visite du Führer au quartier général de Smolensk, sur le front de l’Est. Henning von Tresckow place une bombe dans l’avion du Führer, camouflée dans un paquet de deux bouteilles de Cointreau. L’explosif lui a été livré par von Dohnanyi, qui accompagne sur place l’amiral Canaris. Mais le mécanisme ne fonctionne pas, vraisemblablement en raison des basses températures dans la soute. En juillet 1944, Canaris et Tresckow participeront aussi à l’opération Walkyrie, sans davantage de succès.

Quelques jours après l’échec de Smolensk de 1943, Bonhoeffer et Dohnanyi sont arrêtés et emprisonnés pour trahison et «violation des changes» dans le cadre de l’«Opération 7». Ils sont exécutés deux ans plus tard dans les camps de concentration de Flossenbürg et Sachsenhausen, le 9 avril 1945, sur ordre d’Hitler, avec d’autres membres du groupe Canaris.

Dans ses lettres et notes de captivité3, Bonhoeffer a écrit: «L’ultime question que me pose ma responsabilité n’est pas de savoir comment je me tirerai d’affaire héroïquement, mais comment la génération à venir pourra continuer de vivre.»

1 Ferdinand Schlingensiepen, Dietrich Bonhoeffer 1906 – 1945, Nouvelle édition revue par Jean-Louis Schlegel, Editions Salvator, 2015.

2 Elisabeth Sifton et Fritz Stern, Des hommes peu ordinaires – Dietrich Bonhoeffer et Hans von Dohnanyi, Editions Gallimard, 2014.

3 Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission – Lettres et notes de captivité, Ed. Labor et Fides, 2006

Radio: Ve: 13h30 TV: Karl Barth – le libre-penseur de Dieu 
Di: 20h30 Lu: 24h

L’Eglise confessante antinazie à laquelle adhérait Dietrich Bonhoeffer était soutenue également par un autre éminent théologien protestant du XXe siècle, le Suisse Karl Barth.

Fils et petit-fils de pasteur, Karl Barth (1886-1968, photo DR) a commencé par exercer comme pasteur à Safenwil, en Argovie, s’intéressant aux problèmes sociaux et syndicaux des paysans, ce qui lui a valu le surnom de «pasteur rouge». Son commentaire très remarqué de l’Epître aux Romains l’amène à accepter un poste de professeur à Göttingen, en Allemagne, où il entreprend une réflexion théologique systématique, la Kirchliche Dogmatik, qui deviendra une référence majeure pour son siècle. En 1934, il est le principal auteur de la Déclaration de Barmen, acte fondateur de l’Eglise confessante antinazie. Expulsé d’Allemagne pour avoir refusé de prêter serment au Führer, il continue le combat depuis Bâle, où il devient professeur de théologie systématique. Le théologien Bonhoeffer, pour qui Barth était l’un des maîtres les plus influents, lui a rendu plusieurs fois visite en Suisse avant et pendant la guerre. Karl Barth l’a aidé, entre autres, à obtenir des visas de transit pour les Juifs fuyant le Reich dans le cadre de l’«Opération 7». PFY