Cameroun: les églises de réveil, «l’opium du peuple»

GEOPOLIS –

Elles tendent leurs bras à tout le monde et promettent amour, argent et prospérité. De vrais marchands d’illusions qui maîtrisent toutes les ficelles de la communication. Géopolis vous propose de partir à la découverte des églises de réveil qui prolifèrent au Cameroun avec un guide qui connaît bien ce milieu, le blogueur camerounais, Ecclésiaste Deudjui.

Ouvrir une église de réveil, rien de plus facile, témoigne Ecclésiaste Deudjui, blogueur camerounais installé à Douala, la capitale économique du Cameroun. Là-bas, elles poussent comme des champignons.
 
«Aujourd’hui, créer une église de réveil est plus facile qu’ouvrir un bar ou une pharmacie. Vous vous levez un matin, vous ouvrez votre salon, vous ouvrez portes et fenêtres et vous mettez une affiche pour dire que vous êtes un envoyé de Dieu.» Et le tour est joué, explique notre guide.
 
Dans sa ville de Douala, il en a dénombré des dizaines. Elles sont installées dans des maisons d’habitation, des salons de coiffure et dans des lieux divers, où les gens se rassemblent dès le coucher du soleil pour chanter et faire des incantations.
 
«Ce sont des églises qui naissent du jour au lendemain sans formalité administrative et qui sont dirigées par des personnes ne disposant d’aucune qualification, d’aucune référence. C’est-à-dire que je peux me lever un matin, je dis dans mon quartier que j’ai parlé avec le seigneur dans la nuit et qu’il m’a choisi comme son messager pour transmettre la bonne nouvelle», raconte Ecclésiaste Deudjui à Géopolis.

Ecclésiaste Deudjui vu par Jeff Ikapi
Ecclésiaste Deudjui, blogueur camerounais vu par le dessinateur et blogueur gabonais Jeff Ikapi. © Dessin de Jeff Ikapi, bogueur gabonais

«De faux pasteurs aux idées lumineuses»
Ce sont souvent des gens qui n’ont pas réussi à trouver du travail. Un bon jour, ils ont une idée lumineuse et se font passer pour les messagers du seigneur, explique le blogueur camerounais.
 
«Dans un premier temps, les fidèles sont le cercle restreint du faux pasteur. Il prend d’abord, soit ses frères, soit ses collègues ou ses amis, des gens qu’il connaît dans son entourage que moi j’appelle ses complices. Il leur demande de venir assister à ses premiers offices. L’objectif est de montrer aux autres personnes que son église est fréquentée.»
 
De «faux pasteurs» adeptes de la Bible qu’ils lisent 24 heures sur 24. Ils sont capables de réinterpréter les mêmes versets que vous avez-vous-même lus en leur donnant une autre signification avec beaucoup de conviction. Et ça marche, constate Ecclésiaste Deudjui.
 
«Quoi de mieux qu’un pasteur qui vous fait comprendre que demain vous serez heureux. Que vous étiez sur un mauvais chemin. Ils exploitent cette faiblesse-là. Quand l’être humain est démuni matériellement, il est prêt à tout, à partir du moment où on lui apporte une garantie de fraternité. Parce que le maître-mot dans ces confréries, c’est le mot “frère”. Dès que tu es nouveau, on t’accueille, les gens t’embrassent. Ca vous fait réfléchir.»
 
Le dénominateur commun de toute cette mascarade, c’est la pauvreté, dénonce Ecclésiaste. Selon lui, les églises de réveil exploitent la naïveté et la détresse d’une population plongée dans la misère.
 
«Pour moi, ces églises sont comme des laveuses de cerveaux. La plupart de leurs fidèles sont des personnes qui sont perdues. Elles sont désorientées et désespérées. Les églises de réveil savent capter ces âmes en perdition. Chaque fois que tu discutes avec une de ces personnes, elle se réfère toujours au pasteur : je vais faire ça si le pasteur me dit que…ou le pasteur m’avait dit hier que…ou encore le pasteur pense que…Ces fidèles pensent que le pasteur est la seule personne à détenir la vérité.
 
«Eglises de réveil, un véritable business»
Ecclésiaste décrit à Géopolis des pasteurs-comédiens devenus spécialistes de la communication. Tout est étudié et pensé, remarque-t-il. Les affiches dans les rues, les vidéo-projecteurs et les écrans géants dans les salles de prière, tout est pris en charge par des spécialistes de l’image pour attirer le plus de monde possible. Objectif: récolter parmi les fidèles le maximum de dons que le pasteur mettra dans ses poches.
 
«Moi j’appelle ces pasteurs des entrepreneurs. Des hommes d’affaires aux dents très longues. Qu’est-ce-que ils font? Ils leur demandent de verser 10% de leurs salaires et même des avantages en nature. Parfois ceux qui ont beaucoup d’argent donnent des voitures. Dès qu’ils ont réussi, ces pasteurs deviennent des gens très fortunés. La preuve, certains ont des chaînes de télévision pour élargir encore plus leur audience. Ils possèdent des bus estampillés à leur image. Des bus de plus de 70 places avec la photo du pasteur à l’avant et à l’arrière.» 

Dans église réveil à Douala

Séance de prière dans une église de réveil à Douala, la capitale économique du Cameroun. © Photo Ecclésiaste Deudjui

Début novembre, la radio d’Etat camerounaise rapportait le décès d’un responsable communal survenu dans l’est du pays alors qu’un évangéliste congolais tentait de le «délivrer» de la maladie dont il souffrait. Des drames similaires dans des églises de réveil sont rapportés régulièrement par des médias locaux.
 
«Ils prétendent être en mesure de soigner toutes les maladies. Si tu as le sida, c’est un petit problème. Si tu as un AVC, c’est un petit problème. Il suffit de venir à l’église, de les écouter, de respecter leurs prescriptions pour que la plupart de vos maladies disparaissent. Moi je les appelle des charlatans et des arnaqueurs. La preuve, c’est que quand eux tombent malades, ils vont voir un vrai médecin. Ils ne soignent que des malades imaginaires. Des comédiens à leur service simulent des maladies de toute sorte. Dès qu’ils leur imposent leurs mains sur la tête, ils se lèvent et marchent. Et les fidèles naïfs y croient», se désole Ecclésiaste Deudjui.
 
Et si ces églises prolifèrent dans le pays, soutient-il, c’est que les autorités laissent faire. Le gouvernement camerounais a baissé les bras après avoir tenté de les interdire au début des années 90.
 
«Je fais toujours un parallèle avec la boisson. C’est une sorte d’opium du peuple. On vous laisse vous abrutir avec l’alcool, vous vous faites laver le cerveau par des messages divins, vous n’allez pas revendiquer vos droits. Les gens oublient leurs véritables problèmes», constate, amer, notre guide camerounais.