PROVOCATEURS MAIS PASTEURS

Annoncer par avis mortuaire la mort de Jésus, brader des cercueils, proposer de monter le sien comme un meuble Ikea, autant de coups médiatiques que l’on doit aux deux pasteurs de Saint-Laurent-Eglise, à Lausanne. Un lieu de culte et des hommes de foi qui sortent de l’ordinaire!

Par Patrick Baumann – Mis en ligne le 26.03.2013

Ce n’est pas tous les jours qu’on voit un pasteur s’agenouiller, la génuflexion étant plutôt réservée aux catholiques. Mais, quand il le fait au milieu de l’église, en plein culte et sur un tapis rouge où des gamins jouent à la balle et aux petites voitures, on se demande si Calvin en perdrait son latin! «Attention, les enfants, on va fermer les yeux!» avertit gentiment Daniel Fatzer avant de se remettre debout et de lancer la prière des grands. Un culte insolite au premier abord, all inclusive, petit-déjeuner, liturgie, apéro et repas compris, mais pourtant tout à fait ordinaire à Saint-Laurent-Eglise, au cœur de Lausanne, où se vit depuis deux ans une façon différente de recevoir la parole de Dieu.

L’église comme lieu de véritable échange où le fidèle réagit aux prédications en prenant la parole et le micro. Des prédications qui sont parfois des reprises de grands hits de Martin Luther King ou d’Albert Schweitzer, à peine retravaillés, voire des chansons de Nougaro où c’est Antoine Auberson qui officie à l’orgue, comme le 17 mars dernier.

A Saint-Laurent, on entre et on sort comme dans un moulin. C’est voulu, encouragé, et on dit d’ailleurs, sous forme de boutade, que le culte ne devrait pas commencer s’il n’y a pas au moins un Noir et un enfant dans l’assistance. Des enfants qui, soit dit en passant, adorent qu’on ne les oblige pas à rester assis et silencieux. Ce qui explique la présence de jeunes familles sur les bancs, placés en U, autour du tapis rouge qui fait office de place de jeu. «Notre premier achat, ce furent des jouets, explique avec un sourire Daniel Fatzer, 60 ans. Et ils ne perturbent pas le culte. Le lieu est juste plus vivant!» «A notre arrivée, il y a deux ans, on a viré une partie des bancs, renchérit son colocataire liturgique, Jean Chollet, 58 ans (les deux pasteurs se partagent un plein-temps). Ça sert à quoi d’avoir 400 places quand il y a 40 personnes? On ne loue pas un bateau CGN quand on a besoin d’un pédalo!»

FOI ET HUMOUR

Semper reforma, le credo de Luther, leur référence. Faire bouger l’Eglise de l’intérieur. Tenter de rattraper les évangéliques, ces échappés du peloton religieux «qui ont une longueur d’avance sur nous», admet Jean Chollet. L’homme fut pendant vingt ans directeur du Théâtre du Jorat; c’est dire que la scène, sainte ou pas, il connaît! Mandatés par le synode pour animer ce projet pilote, les deux pasteurs ont répondu à l’appel, avec foi et humour. Le but est très simple: faire revenir à l’église cette fameuse catégorie de chrétiens dits «distanciés». Dont la désaffection progressive menace désormais la survie des Eglises traditionnelles sous leurs formes actuelles. «Je suis catholique, chuchote Paule depuis son banc, mais je viens ici presque tous les dimanches. Ces cultes ont du pep, ils m’ont permis de me reconnecter avec ma foi!»

Quand l’un de ces deux pasteurs, justement «ressuscite» sur notre photo, sous les yeux de son compère ébahi, il ne faut pas y voir un acte blasphématoire, bien au contraire. La provocation doit servir la réflexion. «Pâques a ouvert une brèche, il y a du courant d’air dans le tombeau», lit-on dans ce très beau texte de Jean Debruynne qu’ils ont distribué le 23 mars sur le parvis de Saint-Laurent. Et pour faire que ce courant caresse ou ébouriffe l’âme, les deux hommes ont proposé aux passants de fabriquer leur propre cercueil. En sapin. La boîte, faite sur place et sur mesure, pouvant servir également de bibliothèque! L’Ichtus, symbole du Christ, version Ikea. Jean Chollet: «Ce qui compte, pour nous, c’est de renouveler le message chrétien de sorte que le fidèle qui l’entend ne nous lance pas: «Oh, mais je sais déjà tout ça, je l’ai entendu mille fois!» Une démarche qui passe aussi par l’emploi d’une Bible française, dont la prose est plus proche des gens. A Saint-Laurent-Eglise on ne lit pas «en vérité, je vous le dis», un peu pompeux, mais «je vous assure, c’est la vérité». Ça fait la différence!

La démarche des deux hommes n’est certes pas sans susciter critiques et incompréhension. «Aliens», a lancé une femme dans la masse des badauds. Une protestante, visiblement offusquée par la vue de la caisse à outils et des pasteurs occupés à raboter ou à se mettre en boîte, a juré qu’elle allait écrire au synode, le législatif de l’Eglise réformée. «Nous ne somme pas certains d’être reconduits, au terme de notre mandat de trois ans», ont averti les deux hommes.

Ils n’en était pourtant pas à leur première tentative de (res)susciter le message pascal. En 2011, ils publiaient une vraie annonce mortuaire annonçant le décès de Jésus avec cérémonie funéraire incluse et la complicité des pompes funèbres. En 2012, ils ont bradé des cercueils devant l’église comme des marchands de tapis.

La presse accourt à chacune de leurs provocations. A tel point qu’on leur demande s’ils n’ont pas peur, à force de coups d’éclat, de vider le contenu au profit du contenant. Réduisant la mort de Jésus à un simple happening! Jean Chollet, un peu goguenard: «Il faudrait faire cette remarque à Dieu. Les murailles de Jéricho qui tombent, la mer Rouge qui s’ouvre, la Résurrection, autant de coups géniaux dont les retombées médiatiques durent depuis deux mille ans!»

Pour toute information sur les cultes à Saint-Laurent-Eglise: www.saint-laurent-eglise.eerv.ch