Anne Thöni, pasteur au chevet des “cassés de la vie”

Troisième épisode de notre série La moitié du ciel est à elles.

Premier épisode :
“En Chine, la politique de l’enfant unique ravive des cultes à des divinités féminines”

Deuxième épisode  :
Le Coran a-t-il un sexe ?

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Au fil des années, elle a acquis quelques «  petits trucs  ». Elle s’est notamment rendu compte que c’était souvent dans la première ou la dernière phrase prononcée par le malade avec qui elle échangeait que se trouvait la «  clé  ». Une clé permettant de comprendre pourquoi celui-ci avait souhaité la voir, ce qu’il attendait de leur entretien, ce qui le préoccupait. Anne Thöni le reconnaît  : sa charge de pasteur aumônier en milieu hospitalier est d’abord une affaire de «  décodage. Les patients ne vont souvent pas vous dire directement pourquoi ils vous ont appelée  ».
Cela fait désormais 13 ans que cette membre de l’Armée du Salut travaille aux côtés des patients de l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Être une femme aumônier n’est pas rare chez les protestants. “Nous avons même la parité en Ile-de-France, nous sommes bien dans l’air du temps“, relève-t-elle dans un sourire. Lorsqu’elle se rend dans l’établissement, sa mission est claire : apporter aux malades son écoute, entendre leurs questionnements et les « accompagner dans l’exploration d’eux-mêmes, afin qu’ils trouvent leurs propres réponses. » Les raisons pour lesquelles ces patients font appel à elle sont fort diverses. Les questions posées peuvent être d’ordre pratique mais aussi plus profondes. Comme cette protestante qui, sachant son décès proche, l’appela pour lui demander  : « Que va-t-il se passer après ? » «  Des entretiens peuvent également se dérouler dans le silence, indique Anne Thöni. Certains malades peuvent avoir besoin d’une présence, je suis alors là pour eux ».
De ces échanges, on ne sort bien évidemment jamais indemne. Elle se dit « enrichie » par toutes ces rencontres, mais également, bien sûr, «  touchée. Nous ne sommes pas les mêmes après ». C’est pour cela qu’un aumônier est lui-même suivi par un professionnel de la psychologie avec lequel il peut reprendre le fil des entretiens passés.

«  Une parabole de la Bible m’a empoigné le cœur  »

En s’engageant auprès des malades, Anne Thöni est en fait allée au bout de la démarche qu’elle a fait sienne depuis une quarantaine d’années comme ministre du culte. «  Ma vocation s’est affinée au fil des ans. Je suis profondément habitée par toutes les rencontres que le Christ a faites avec les ”cassés de la vie”, aveugles, étrangers, prostituées, souffrants… J’ai voulu vivre ça. Comme lui, j’ai souhaité me mettre à leur service ». Un altruisme qui est d’ailleurs très présent dès le début de son cheminement religieux  : c’est vers l’Armée du Salut qu’elle s’est dirigée voici plus de 40 ans, mouvement protestant tourné vers les détresses humaines.
Cet engagement fait suite à «  une expérience spirituelle au début de l’âge adulte ». Invité à un culte de cette même Armée du Salut par des connaissances, elle s’y rend par curiosité. D’origine catholique, elle s’était éloignée de l’Eglise à l’adolescence. La cérémonie protestante sera, pour elle, un choc. Elle va être « saisie par l’Evangile. Un texte m’a empoigné le cœur  : la parabole du fils prodigue, se souvient-elle. J’ai compris que Dieu accueillait sans reproche ni jugement. Je me suis alors demandé ce que j’allais faire de ma vie… J’ai décidé de servir Dieu en réponse à cet appel auquel je ne pouvais résister ».
Suivra alors, peu après, sa rencontre, au sein de l’Armée du Salut, avec son futur mari. A l’issue de leur formation théologique, viendra le temps de la consécration et de l’ordination pour les deux membres du couple. Nous sommes en 1976. Ils vont alors se lancer ensemble dans un riche parcours commun -une tradition à l’Armée du Salut. Lequel commence à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), où ils sont chargés de réinsuffler un dynamisme à une paroisse en sommeil. Une attention toute particulière sera portée aux «  enfants des rues  », souligne Anne Thöni. Après 5 ans, le cap est mis sur le pays de Montbéliard où d’importants travaux œcuméniques seront menés. Quelques années plus tard, de retour à Paris au siège de la congrégation, le couple s’occupera des publications de l’Armée du Salut (rédaction de journaux, édition d’ouvrages…).

Le dialogue avec les musulmans

Et c’est enfin en tant qu’aumôniers qu’ils abordent la dernière partie de leur cheminement. Son mari, rattaché à une prison, a pris sa retraite récemment. Anne Thöni, elle, a encore quelques années à accomplir à l’hôpital Avicenne. Une mission à laquelle elle en a adjoint d’autres. A 62 ans, elle est également responsable de la formation initiale et continue des pasteurs au sein de l’Armée du Salut, et remplit différentes charges au sein de la Fédération protestante de France sur les dossiers de l’aumônerie mais aussi des relations avec l’islam.
Cet intérêt pour le dialogue avec les musulmans n’est d’ailleurs probablement pas étranger à son entrée à l’hôpital Avicenne, ancien «  hôpital franco-musulman  » qui a pris en 1978 le nom d’un médecin et philosophe perse du XIe siècle. Elle reconnaît que son immersion dans ces lieux lui a permis d’évacuer rapidement «  des appréhensions et des a priori  » sur les musulmans. Mieux  : sa présence a été l’occasion de développer, aux côtés de représentants des cultes catholique, orthodoxe, juif et musulman, un grand nombre de rencontres interreligieuses.
Un dialogue constant avec les autres religions qu’Anne Thöni a toujours voulu doublé d’un travail « en alliance avec la laïcité ». « Cela témoigne de notre respect de l’autre et de l’importance que nous, protestants, accordons à la liberté de conscience », assure-t-elle. Elle s’attache au quotidien à exercer sa tâche en accord avec ces préceptes, en répondant notamment aux demandes de rencontres et d’échanges que peuvent lui faire des patients athées. Ou comme cette fois où elle a répondu positivement à une famille endeuillée qui lui demandait d’assurer la tenue d’un enterrement civil. Avec cette réflexion en tête  : « Si on annonce un Dieu qui accueille, alors on se doit d’accueillir nous-mêmes ces personnes dans leur demande ».